The Last Supper, une fois que nous le savons ?
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Avignon 2015
Ahmed El Attar nous tient le miroir et nous montre indirectement notre lâcheté d’accepter et de vivre avec ces injustices, abominables. Pendant une heure, nous nous trouvons devant la laideur du pouvoir. The Last Supper se joue du 18 au 24 juillet à L’autre Scène du Grand Avignon – Vedène.
Le peuple prépare la salle, la cène. Les verres doivent être placés au millimètre. Noir. Quelqu’un fume. Noir. Toute une famille entre. Deux prient sans grande conviction pendant que « l’artiste », impulsif et violent plus tard, chante Bob Dylan. « Dieu, épargne-moi de… » Façade tout cela. La nana de jeune entrepreneur enlève dès son entrée voile et cie pour apparaître dans une robe courte, fleurie, des talons… elle rigole comme une conne pendant une heure. Ah, mais le shopping à London est quand même mille fois meilleur que l’Amérique.
C’est alors une logorrhée d’une heure qui aurait pu aussi bien durer cinq heures ou cinq ans. C’est la logorrhée de l’élite, de l’oligarchie, des rois et des princes du monde comme ils existent depuis le début des temps. C’est leur contentement, leur arrogance, leur mépris, leur aveuglement, leur violence, leur cécité de ce que justice pourrait dire. Ils parlent des millions et des milliards et traitent les travailleurs de leur pays de vermine. Ils peuvent perpétuer des jugements moraux tout en n’acceptant nullement cette morale eux-mêmes. C’est un discours double, ou un discours vide qui peut dire une chose et prouver le contraire une minute après. Leur pouvoir les libère de toute conséquence et leur permet l’arbitraire absolu. Et c’est depuis toujours que le pouvoir, comme celui de l’oligarchie mondiale actuelle, peut agir selon son humeur du jour. C’est peut-être qu’on aurait espéré que l’avenir de la révolution égyptienne change quelque chose… Ça viendra.
L’ennui y règne, mais c’est peut-être seulement « l’artiste » qui s’y ennuie. Par ennui, il fait faire des bêtises à un des gamins. Il lance des papiers-bulles sur un servant, esclave moderne. Après d’incessants agacements, celui-ci touche les mains du gamin. Scandale ! S’il ne se fait pas décapiter, il peut se conter heureux. Enfin, après avoir embrassé la tête du gamin, il est viré, cela revient à peu près au même. Situation d’injustice totale. La superficialité, la bêtise de ces riches. La brutalité du Général. On pourrait vite dire que c’est des caricatures. Caricatures agissantes, peut-être indispensables à la survie de Ahmed El Attar, pour pouvoir se réfugier derrière elle. Mais j’en doute. Souvent la réalité est beaucoup plus caricaturale que tout ce qu’on peut inventer au théâtre. Et donc ici aussi : leur brutalité, leur fausseté, leur arrogance, leur ridicule d’une certaine manière, figurent plutôt comme miroir exact de notre monde, de notre monde à tous. Ce n’est pas la réalité en Égypte, ce n’est pas une caricature, c’est l’image de cette couche sociale mondiale dont nous dépendons, qui règne et dont nous sommes les sujets, et qui est peut-être la pire, avec laquelle nous partageons à peu près le même éthos. Facebook. Instagramm. Téléphone portable. Shopping. Selfies…
Ahmed El Attar ne peut peut-être aller plus loin dans le contexte politique actuel en Égypte ; mais nous, une fois que nous le savons, que faire ?