6 p.m. When appears the poetry
À l’Opéra Grand Avignon, nous pouvons voir jusqu’au 10 juillet à 18h la pièce du BlitzTheatreGroup : 6 A.M. How to disappear completely d’après Ainsi Ménon pleurait Diotima de Friedrich Hölderlin. Le Blitz Theatre Group est un collectif grec formé en 2004 par Angeliki Papoulia, Christos Passalis et Yorgos Valais. Leur geste artistique est pensé comme un espace d’échange autour d’un théâtre singulier éloigné des discours préfabriqués. Avec cette pièce, partant du poème d’Holderlin, ils mettent en scène un espace poétique qui s’appréhende comme une musique. Un spectacle qui nous déplace, nous transporte dans un monde de sensation, d’image dont les liens de sens se fabriquent dans l’imaginaire. Ce collectif ne recherche pas la compréhension immédiate, ni l’adhésion des spectateurs mais il propose un voyage commun dans une langue inconnue qu’est la poésie de la langue, des langues, des images et des sons.
L’opéra est plein. Il est 18h. Le noir salle arrive. Du troisième balcon, le parterre scintille. Les portables éclairent soit pour envoyer un dernier message, pour vérifier qu’il est sur silencieux… Un dernier geste individuel avant de plonger collectivement dans une proposition de ce collectif. Un son, un bourdon comme un souffle résonne. Lumière sur une femme, en avant scène, au centre du plateau. Derrière elle, un cyclo rama masquant la profondeur de la scène. Juste au dessus de la femme, sur le cyclo, le soleil du petit jour. Elle est habillée de pourpre. Elle tient une hache de bucheron d’un mètre, rouge au deux extrémités. Au sol, poussière et terre battue mettent en jeu un espace en friche. La femme baisse la tête, immobile. Une image qui convoque notre imaginaire. C’est Médée. C’est une image du combat. C’est un appel. L’image de cette femme dure puis vient ses premiers mots. Les premiers vers de Ainsi Ménon pleurant Diotima d’Holderlin dit en grec traduit sur le cyclo en anglais, en français. Ces premiers vers qui disent une recherche infinie, une quête déjà commencée et sans aboutissement possible. Nous sommes associés à cette aventure. Il y a une convocation à participer à ce poème. Pendant le poème, le soleil se voile par un brouillard.
Noir
Le cyclo a disparu, l’espace est un terrain vague fait de terre et de poussière où se dresse des échafaudages de guingois et disparates. Un véhicule confectionné à partir de récupération a pris la place de la femme. C’est un robot, un automate. Il est fabriqué avec les moyens du bord. Il s’affranchit des standards, de l’uniformisation. C’est un automate unique qui se meut tout seul, il éclaire l’espace. Notre imaginaire bouillonne. Sommes nous dans un monde post apocalypse ? Est-ce l’espace des dépotoirs aujourd’hui ? Celui des marges pauvres ? Dans cet espace, arrivent sept personnages qui agissent mais ils sont toujours sous la menace de quelque chose. Rien n’est tranquille. Une intranquillité qui se manifeste par le son, la musique inquiétante et tendue et par de temps en temps une pluie de pierres. Les personnages s’arrêtent, se protègent comme ils peuvent, attendent avant de reprendre leurs actions. Toutes leurs actions paraissent faire partie d’un mécanisme. Un ballet que les sept actrices et acteurs doivent réaliser comme une urgence, une nécessité. Mais qui produit sur le spectateur une chorégraphie du chaos, de la résistance. C’est la danse de la poésie où tout est organisé, tout est clair pour les interprètes et où nous devons accepter de nous perdre et de nous laisser aller.
Le titre disait cette disparition, une disparition complète qui est celle du théâtre comme l’affirme Christos Passalis[[« le titre du spectacle signifie exactement cela. « 6 heures du matin. Comment disparaître complètement ? » Disparaître du théâtre mais aussi des causes et des effets, de la logique, de la réalité matérielle… »]] dans le programme de salle. Mais cette disparition c’est aussi celle du spectateur qui comprend, qui veut comprendre, qui veut se sentir intelligent. Là le Blitz Theatre Group nous demande un état réceptif aux formes, aux sons et aux lumières comme quand enfant nous acceptons de comprendre partiellement. C’est à dire de ne pas tout savoir. L’état d’inquiétude mis en scène au plateau rejoint notre état de spectateur dans la mesure où notre inconscient, notre imaginaire est convoqué. C’est un état d’incertitude dans lequel nous sommes plongés et qui passe d’un univers très métallique et mécanique à un espace presque végétal. En effet sur l’heure de représentation, la lumière révèle d’abord un dépotoir fait de ferraille et de gravats pour mettre à jour une clairière au milieu d’une forêt où tous les songes sont possibles. C’est le mot ENTHOUSIASME qui clôt le spectacle, une ouverture en guise de fin comme dans le poème d’Hölderlin qui s’achève par des vers lumineux [[(2) IX.
Aussi, ô dieux du ciel, je veux vous rendre grâces !
Enfin la prière, une fois encore, délivre et soulève la poitrine du chanteur !
Comme jadis, lorsque auprès d’elle, lorsqu’avec elle j’étais sur la hauteur ensoleillée, un dieu me parle des profondeurs du temple et me ranime !
Oui, je veux vivre aussi !
Déjà la verdure !
Déjà, là-bas, des monts d’argent, la lyre d’Apollon nous appelle !
Viens ! C’était comme on rêve ! Les ailes saignantes, les voici déjà guéries !
Déjà l’espérance vit partout rajeunie !
Il reste à découvrir bien des choses encore, bien des grandes choses, et qui aima de la sorte, il faut qu’il prenne, oui, la voie qui mène aux dieux !
Mais vous, restez présentes, heures de la révélation, heures graves de notre Jeunesse !
Assistez-nous, pressentiments sacrés, ferveurs de nos prières, et vous, enthousiasmes, et vous, ô tous les bons génies, qui aimez d’être auprès de ceux qui s’aiment, tardez auprès de nous jusqu’à ce qu’au même rivage,
là-bas où tous les bienheureux sont près à redescendre,
là-bas où sont les aigles, les astres, les messagers du Père et les Muses, et le pays des héros et de l’amour, jusqu’à notre rencontre là-bas, ou bien ici, sur l’île de rosée où les nôtres attendent, fleurs assemblées dans les jardins, où les chants sont vrais, où la beauté des printemps est plus longue,
jusqu’à notre rencontre, et qu’à nouveau commence une année de notre âme !
Traduit de l’allemand par René Lasne]].
Le Blitz Theatre Group aura posé des images sur le poème « Ainsi Menon pleurant Diotima » sans l’illustrer. Il utilise les moyens du théâtre de manière différente pour rendre compte de la poésie qui réinvente la langue.