We’re pretty fuckin’ far from okay… : enfumage
Gymnase Paul Giera… ils ont peur du tabac… Y avait pourtant pas de quoi pour cette performance qui n’en fera pas un…
Sur deux chaises, en front de scène comme en exposition – en vitrine – les interprètes Lisbeth Gruwez (par ailleurs conceptrice de cette performance) et Nicolas Vladyslav observent, assis, une lenteur grave. Un long temps sépare cette station du début d’un mouvement où le corps sera articulé. Un long temps d’immersion dans les nappes lointaines de quelques territoires obscurs constitue donc le commencement de cette pièce chorégraphique performative où le corps au repos, il est encore dans une activité intense tournée vers l’intérieur. Ce corps-là n’est plus ou pas dans la socialisation, il est tout entier dans une tension qui, ultérieurement, dans un second temps va se déchaîner. Une lutte ou une étreinte, quelque chose qui relève d’un combat avec soi, contre soi, qui exige le soutien de l’autre, l’appui de l’autre… gagne alors un espace de visibilité sur le plateau gris borné, en fond de scène, par des néons verticaux qui les exposent davantage. Comme pris dans le halo des phares d’un véhicule inconnu, le duo peut se contempler comme une espèce de papillon affolé. Rien d’autre n’arrivera, sinon deux monolithes gris, énormes, qui viennent dans l’intervalle, entre les néons et les corps, et qui à mesure que le couple s’exécute, les privent petit à petit de lumières.
C’est tout, ou presque, sinon la perception audible, claire, et voulu de sons qui s’échappent de cette performance constrictive. Espace sonore lissé sur un thème unique qui augmente l’inquiétude qui semble être à l’œuvre, à l’origine de l’œuvre aussi…
Car, et Lisbeth Gruwez le confie, cette pièce est toute entière tournée vers l’angoisse, la peur… et aussi surprenant que l’on puisse le constater, un aveu
« mon but personnel avec cette pièce était d’arrêter de fumer, car c’était lié à une angoisse, et il s’agit de regarder la peur, l’angoisse, dans les yeux[[cf. le programme]]
… »
Ah, c’est une bonne idée ça… ou disons que c’est juste une idée qui appellerait une pensée qui ne viendra pas. « Avoir une idée », c’est un début… Alors imaginons le développement lié à cette peur (thème du travail)… « Arrêter de fumer »…
En soi, le corps médical ne cesse de le marteler, « fumer nuit à la santé », et même les producteurs et les vendeurs déploient, à la demande de l’Etat pris en otage par les familles de victimes, sur les paquets de tabac, des diaporamas impressionnants : visuels de tumeurs, photos de corps anéantis, d’accidents en tous genres… Spectateur de « ça », le fumeur que l’on culpabilise en estimant le coût de revient Sécu pour la collectivité, devrait étre accablé. Mais cet égoiste inconscient, libertin du plaisir individuel, cet entêté continue de têter la roulée, la sans filtre, la blonde, la brune, etc… Il suce et salive sur la clopinette, jouant du bout comme du téton des nymphettes, il est dans l’érotisme… Et tout cela n’a rien d’incroyable, puisque c’est dans Don Juan, que l’on peut entendre « il n’est rien d’égal au tabac », ou « qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre ».
Bref, oui, il faut avoir peur du tabac, comme on peut avoir peur des votes populistes. Oui, fumer tue, comme aussi le capitalisme sauvage… etc.
Mais la performance proposée n’allait pas au-delà d’une forme énigmatique sans fin qui répandait un écran de fumée sur quelque chose qui définitivement n’apparaîtrait jamais… Et de songer à la clope de Camus, celle de Prévert, celle de Deleuze, de Gainsbourg… Ah, la cigarette, celle des plans de Rohmer, celle de Ventura dans l’armée des ombres, de Montand dans le salaire de la peur… Et se souvenir de Müller et de son havane.
Ah, fumer, au risque de… casser sa pipe.