Des nuages et autre chose
C’est un été où il y a des évènements culturelles à en avoir ras le bol. La Dokumenta 14 à Kassel, la SkulpturenProjekte à Münster, en ne pas oubliant la Biennale de Venise et bien évidemment notre annuel Festival d’Avignon. On peut y trouver, comme à chaque année, une (au moins) mise en scène du directeur. Cela ne change pas. Des Parisiens— et autres notes.
De l’apprentissage d’Athen à l’engagement politique des nuages
Il y a au moins une raison pour visiter la Dokumenta 14 à Kassel avec le titre de travail « Von Athen lernen » (Apprendre d’Athen) cette année : c’est se rendre compte que les arts plastiques ne vont pas mieux que le théâtre.
Alors que les deux événements se veulent explicitement politique (au moins dans leur édito), il faut cependant se faire à l’idée que chez l’un comme l’autre règne la perdition actuelle de ce que « politique » pourrait nommer.
Alors qu’à Kassel, l’art est soumis à une sorte de réalisme documentariste qui voudrait du moins informer le spectateur de la barbarie de ce monde (dont on peut déduire au moins que les instances classiques comme les médias ne le font plus comme ils devraient, mais on le savait), il y est explicitement fait référence à un apprentissage, à Avignon le « politique » se réduit à la beauté des nuages.
À Kassel, si les œuvres en elles-mêmes n’arrivent pas à faire ce qu’on attend d’eux, une médiation culturelle nous aide promptement à clarifier nos incompréhensions. À la SkulpturenProjekte à Münster (autre exposition importante de cette année), nombreuses sculptures n’arrivent pas non plus de se passer d’un texte explicatif d’une abstraction étonnante qui se sert volontiers de grands mots philosophiques afin de ne rien dire de spécifique. Certaines réactions (v. S. Heidenreich) appellent déjà à en finir avec les curateurs, intéressés par leurs carrières personnelles, servant le consensus politique et rendant l’art dépendant de leur médiation culturelle qui sert le plus souvent à faire avaler aux spectatrices et spectateurs ce qui leur est servi sans expérience ou réflexion propre. Pour pousser l’hypocrisie à son maximum, le programme de médiation à la Dokumenta s’appelle « Une expérience ».
Quand la Dokumenta attaque encore volontairement et de manière volontariste les conditions actuelles du monde, Olivier Py voudrait voir dans le fait unique de se rassembler dans une salle devant une scène un acte politique. Il est alors difficile de n’y voir qu’un discours qui voudrait nous vendre, par supercherie, ce qui n’y est pas, afin d’empêcher ce qui n’y est pas d’arriver. Autrement dit : contenter les spectatrices et spectateurs en leur faire croire qu’ils commettent un acte politique tout en rendant impossible de faire un réel acte politique ou ne serait-ce que de le penser. Le pouvoir semble nous dire : « Asseyez-vous dans le palais des papes, c’est politique. Vous avez ainsi participer au monde. Vous pouvez aller vous coucher tranquillement. »
Qu’est-ce que cela veut dire « l’engagement politique des nuages » ? Est-ce que M. Olivier Py fait semblant ou n’aurait-il toujours pas compris que nous ne voulons pas de l’espoir ? Que l’espoir est l’allié du pouvoir et produit par lui ? Tant qu’il y a de l’espoir…
« C’est quand même beau un bel espace » ou « l’effondrement du politique »
Mais revenons à nos moutons. Dans Les parisiens, Olivier Py voudrait nous parler avec une comédie de « l’effondrement du politique ». On peut se demander ce que cela voudrait dire, comment le politique pourrait s’effondrer, que tout au plus il s’agirait de l’effondrement d’une politique et que là encore, on est en droit de dire qu’elle se porte plutôt à merveille dans ces temps de crises. On pourrait ressasser les lieux communs de la fin des idéologies, du cynisme et de la détresse de la jeunesse, du nihilisme. Et on pourrait alors voir dans la pièce d’Olivier Py un miroir de notre société, une sorte de critique dénonçant l’absurdité de la société bourgeoise, la bêtise, la brutalité et la barbarie du monde capitaliste. On pourrait voir dans ce jeu artificiel, dans ce théâtre qui ne cesse de parler de vérité et d’amour mais dans lequel tout est faux, une mise en abîme du monde dans lequel nous vivons. On pourrait, en se foutant de l’extrême droite et des chrétiens intégristes tout en se moquant des réunions d’une gauche qui se voudrait radicale, on pourrait y voir la « montée des extrémismes » et la situation historique pour le moins compliquée. On pourrait encore voir dans le masque et l’apologie du masque comme seule possibilité face à la mort une critique d’une situation dite post-moderne qui aurait enlevé toute profondeur possible. On pourrait voir dans le principale enjeu des personnages, celui du pouvoir, une critique et une parodie du pouvoir.
Mais à essayer de voir un peu plus clair dans l’opération de M. Olivier Py, on est obligé de voir qu’il procède lui-même à, non pas un effondrement du politique, mais un effondrement politique par un évidement du politique. Les Parisiens conclut les échecs (pseudo-)révolutionnaires par une consolation dans le divin. À la fin, Aurélien a bien retrouvé son père, cette fois-ci en costume de prêtre et a trouvé la joie. C’est la quête de la joie qui a compté. C’était le chemin de croix où il fallait presque se faire enculer par le chien de son père. Le fait que les théories féministes sont plus ou moins réduites à des citations bien connues qu’on dit bien proprement au public pour qu’il puisse se dire : « On ne naît pas femme, on le devient. Ça, je connais » ; que les raisons de révolutions ne sont jamais qu’affectives, pour se sentir vivre, etc. qu’ils leur manquent toujours tout fondement d’une analyse politique et économique ; que le projet révolutionnaire comme la souffrance individuelle des personnages ne semble jamais autre chose qu’une petite crise pubertaire, ce fait, dis-je, nous pousse à croire (encore !?) qu’il s’agit là d’une politique à la Macron qui ose d’écrire un livre s’intitulant « Révolution », c’est-à-dire, pour dire vite et bêtement, une politique de droite qui se donne à voir comme une politique d’émancipation en vidant le vocabulaire classique de la gauche traditionnelle. C’est ainsi qu’Olivier Py peut sans cesse se braver contre le théâtre bourgeois tout en en faisant. C’est ainsi qu’il s’oppose aux rideaux du théâtre bourgeois, mais qu’ils sont rétablis immédiatement en pensée parce que derrière il n’y a que la saleté, la mort.
Regardant Les Parisiens, on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’un mec qui a peur de regarder cette saleté et d’en tirer les conséquences, mais ne peut pas non plus se convaincre de se satisfaire des masques et des rideaux et des salons bourgeois. Un mec qui ne supporte pas l’odeur du mur de saleté et de la mort ou ne sait pas quoi en faire, mais qui sent que la mondanité devant le rideau et du pouvoir puent autant même ou surtout parce qu’il y participe pleinement. Dans ce dilemme qu’il n’arrive pas à résoudre, Olivier Py nous simplifie l’affaire dans un dualisme, tertium non datur. Un dualisme qui n’arrive pas à échapper aux injonctions capitalistes. C’est la concurrence entre metteurs en scène et le jeu de pouvoir avec l’émergence artistique nationale, comme c’est la marchandisation du corps absolue. « Il faut accepter : nous vivons dans un monde de commerce, que veux-tu faire d’autre ? » dit l’une des deux « féministes ». On peut oublier que le queer auquel Olivier Py se réfère est aussi une pratique qui tente de retirer dans une sorte de politique pré-figurative le contrôle de l’état et du patriarcat de nos modes de vie, qui tend de construire, dans une vision anarchiste, une révolution sociale plutôt qu’une révolution symbolique. Pour finir, Olivier Py résout le problème en et avec Dieu. Le père demeure, le père nous sauve de l’intenable contradiction ; malgré les godemichés bleu, blanc, rouge qui déchirent les culs du paternalisme ce qui se veut une « révolution symbolique », des révolution à faire « par ma bite ». Il s’agit de toute façon d’abord de jouir et toute opposition se fait contre l’ennui et rien de plus. Quand cela devient évident que cela n’attrape rien, on est vite à appeler la guerre comme notre ultime échappée à défaut d’avoir eu le courage de regarder soi et le monde sans masque, sans grandiloquence pathétique. On prône d’être « superficiel par profondeur ». Une intellectualité est défait avec la moquerie : « Je voulais faire ennuyeux pour faire intelligent. » Du coup, cela fait bête et est d’un ennui qui voudrait se cacher par une logorrhée criée pendant quatre heure et demi.
C’est sûrement l’histoire d’une obsession qui n’arrive pas à trouver sa solution. Ce n’est pas seulement les thèmes, ses contradictions et les histoires qui sont les mêmes, c’est aussi la scénographie avec son sol en damier et les néons du fond en sorte de perspective que nous reconnaissons d’Orlando. La volonté de « changer son style » par un écrit qui dépasse son théâtre (écrit venant de sa propre main, la tautologie y est déjà là) n’a pas eu lieu, sans parler d’une mise en question des fondements de son théâtre. Et le théâtre bourgeois contre lequel Olivier Py voudrait s’opposer, est peut-être d’abord cela même : la reproduction du même où le différent, à défaut de devenir un différend, est mesuré par le goût et intégré par là à l’idéologie bourgeoise. C’est un certain goût qu’Olivier Py voudrait attaquer. Il n’a pas encore compris que tout le monde s’en fout, que personne n’est choqué et que son entreprise tourne dans le vide depuis des années. Nous pouvons lui accorder, puisqu’il est ainsi, que regarder « les nuages, les merveilleux nuages » soient préférable à quatre heure et demi de criaillement. Encore faudrait-il qu’il y en ait sous ce soleil provençal. Mais ça, c’est autre chose…