Murgia… Mal être plus que Peur de n’être
Lundi 28 juillet 2014… Retour en Normandie comme à l’habitude, avant de repartir bientôt pour ailleurs… Ai en mémoire le dernier spectacle vu, au Gymnase Aubanel, dans le Festival, le 24 vers 20H00. Le “Notre peur de n’être”… de Fabrice Murgia… “Ai en mémoire” ne veut pas dire qu’il s’agit d’un travail impérissable, mais plutôt que je ne me décide pas à écrire là-dessus… Pourtant, c’est la règle critique… il faudra bien écrire. Au prétexte du journal de ce matin, et peut-être de l’émission d’Arnaud Laporte où Olivier Py se confessait en public le déclic a enfin lieu, alors que je prends mon café, comme d’habitude… il faut aligner quelques remarques, à commencer par celle qui vient spontanément… Fabrice Murgia a réalisé un travail sur le Mal Être… pas tant sur La Peur de n’être… Malaise.
Il faudrait avoir le temps, parfois, d’interroger les titres des spectacles. Questionner leur valeur sémantique bien souvent liée à une construction poétique, un trope ou un jeu de mot. Le titre… c’est un peu comme une accroche ou un condensé. Ça dit ou évoque en un instant ce qui sera développé ou ça prétend atteindre quelque chose sans y parvenir. Alors c’est par-là que je commencerai ce matin… je commencerai par le titre qui, en guise de conclusion prématurée, n’est que de la poudre aux yeux malgré (ce que l’on nomme) une “bonne idée”, puisque si le titre joue a priori sur un trouble phonétique – “La peur de naître” peut-on entendre – il ne produit aucun trouble. Or, et c’est le propre des œuvres, le trouble est l’essence même de l’œuvre d’art. Le trouble est l’effet de l’œuvre sur celui qui la regarde. D’autres parlent de sensation, de frisson, d’émotion, d’hypnose, de retournement, de raison affolée…
Entre “n’être” et “naître”, le titre de Fabrice Murgia n’est donc qu’une attention superficielle portée au langage, une figure artificielle puisqu’il y a déliaison entre ce qui est écrit, et ce que l’on peut entendre. Pour qu’il y ait un effet de sens, il eut fallu qu’entre l’écrit et l’entendu, quelque chose se mette en place qui renverrait à un lien entre n’être et naître. Il aurait fallu que le “n” apostrophe (car c’est au “n” apostrophe que tient le trouble phonétique) puisse faire entendre, le temps de la représentation et du développement de ce récit qu’est Notre peur de n’être, le rapport étroit qu’il y a entre le fait de naître et celui d’être.
D’évidence, travaillant à partir de Michel Serres en qui Fabrice Murgia a trouvé une source, le metteur en scène, dialoguant avec la réflexion du penseur sur le monde moderne, a sans doute eu une “idée”. À Avignon, le temps d’un festival, il lui faudrait parler de l’inquiétude, de l’angoisse, précisément de la “peur” (s’est-il résolu à écrire sur le programme) de n’être/naître. Soit, si nous glosons, un propos qui s’attarderait sur la peur (d’abord) et un objet : le renoncement. “Notre peur de n’être” exprime ainsi la peur de devoir renoncer à être. Dans le même temps, jeu de mot oblige, le titre fait entendre également “la peur de naître”, c’est-à-dire “la peur de venir au monde”.
Au commencement, dès le titre donc, il semblerait qu’il y ait le désir de traiter d’un problème métaphysico-existenciel. En naissant, le “souci d’être” se trouve rattrapé par la peur de ne pas être.
Problème hamlétien ? perspective schopenhauerienne ? méditation nietzschéenne ? constante becketienne ?
D’évidence, la peur de ne pas être comme celle de naître inscrit Fabrice Murgia dans les eaux troubles de la pensée de l’être au monde qui, au risque d’en faire l’expérience, pourrait se trouver mutilé par celui-ci. “Comment être soi-même” serait la question empruntera-t-on à Ibsen.
Mais revenons à cette “peur de n’être” ou de “naître”… Et sondons davantage la “déliaison” entre les deux termes ou les deux états de la peur.
Lisant, relisant, tentant de mettre au clair ce que met en jeu cet énoncé, on comprend que la proposition induit l’idée que le monde oppose une résistance violente à l’endroit du sujet, avant même qu’il en ait fait l’expérience. D’où la peur !
Mais alors, qu’il s’agisse du renoncement ou de la peur de venir au monde, la proposition de Fabrice Murgia avoue ce qu’elle masque dans le jeu de mot. Si la peur demeure, c’est peut-être qu’elle concerne indirectement celle de n’être ou de naître, et qu’elle a finalement à voir avec les actes du sujet. Par-là, comprenons son geste social, son inscription dans le champ social, sa manière d’être (ethos dit-on en grec et qui a donné “éthique”). Or, et on ne peut exclure cette hypothèse, en définitive, “la peur de n’être ou de naître” concerne peut-être moins l’hostilité du monde à l’endroit du sujet, que la lâcheté de celui-ci. Lâcheté où le compromis et le consensus[Ce mot, comme celui qui le précède, pourrait avoir à voir avec [l’analyse du mot “Pacte” que fait Christian Salmon, dans l’édition de Libé du 29 juillet. Et l’on est surpris que le linguiste ne se livre qu’à une critique de son emploi dans la novlangue du gouvernement., sans en chercher les variations sémantiques. De ce point de vue seulement, Salmon a raison de rappeler Freud : “si vous cédez sur les mots, vous cédez sur les choses”. Consensus, compromis, pacte… Dans Faust, le “pacte avec méphisto nous renseigne sur ce geste bien plus que toutes les littératures. Merci Goethe !]] qu’induit l’expérience de la vie, sont récurrents. Aussi, “la peur de n’être ou de naître”, traduirait simplement la capacité du sujet à résister à ce qu’il est lui-même, intrinséquement et foncièrement, un être vile, un être lâche… avant même qu’il ne fasse l’expérience de la lâcheté qui lui confirmera ce qu’il est. Être ou naître, c’est peut-être réaliser juste cela. Et de souligner que c’est cette lâcheté qui, peut-être, fait croire à l’hostilité du monde.
Ce lundi 28 juillet, Libé semble cautionner cette idée. Et alors qu’Olivier Py “surjoue les pertes”, qu’il brosse le public dans le sens du poil en citant toujours Jean vilar “Ce qu’on a réussi le mieux au festival, c’est le public”, qu’il appelle l’Etat “à prendre ses responsabilités”, qu’il rend un vibrant hommage à la lutte des intermittents et à “l’intelligence collective” du collectif des salariés du In qui lui a donné, dit-il “une leçon de politique”, ou que dans une envolée lyrique il célèbre la gloire d’Avignon et du festival “moment où la ville se vit comme un lieu utopique : pendant trois semaines, Avignon est devenu un rêve d’Andalousie, où universalisme et métissage rendent au monde, dans sa multiculturalité attentive, son hospitalité”… avant d’envisager de réduire le format de “l’utopie” d’une semaine suite à la perte de 300 000 euros… la mise en page du journal marque l’éloignement de Py, de la lettre recommandée du collectif du In adressée au Président de la République, François Hollande. Lettre qui prie celui-ci de ne pas oublier celui qu’il a été et qui l’invite à le redevenir “Monsieur François Hollande, nous vous proposons aujourd’hui d’être le porte-parole de la justice sociale pour toute l’Europe… Ne nous décevez pas une fois de plus et saisissez cette occasion de redonner à votre parti socialiste, dont vous êtes actuellement le fossoyeur, le vrai sens du mot “socialisme”.
Et de conclure sur la “solitude” du lâche…. sans doute, quand il se met à se penser.
À vue, La peur de n’être ressemblera à une forme kaléidoscopique, le jeu de lumière travaillant un ensemble de scénettes miroitantes qui racontent la même chose. Tout à la fois proches et distantes les unes des autres ou réfléchissant le même principe d’isolement, ces lambeaux d’images, ces fragments picturaux, ces séquences documentaires caméra à l’épaule… constituent un récit de solitudes et d’enfermements. Il y a l’homme qui ne sort plus. Il y a la femme qui s’effraie de sa rencontre avec le monde extérieur. Il y a là la mère vociférente qui n’apparaît plus que par vidéo interposée… C’est ainsi une sorte d’esthétique de la camisole qui prend place où le sujet est prisonnier de ces propres peurs : celle de l’autre, celle de la rencontre avec l’autre, celle du contact avec l’autre, celle du souvenir de l’autre. Et cette peur passe aussi bien dans l’espace linguistique (où la parole bute sur sa finalité), qu’à travers les matériaux : le dichtaphone où la parole enregistrée est enfermée, une porte fermée énigmatique apparaissant et disparaissante, un ensemble de “box” aux échelles distinctes (cercueils entre autres), des coins d’appart où l’on vit prostré, jusqu’au tulle tendu en front de scène sur lequel s’impriment les images vidéo…
Tenue à la pénombre, la scène semble définitivement le lieu d’un repliement pour des êtres aux prises avec leur lot de phobies, et c’est sur le contraste qu’entretient la lumière que se joue La peur de n’être. Contraste entre lumière blafarde et parole venue d’outre-tombe, et contraste de la lumière plus vive quand la vidéo est utilisée et laisse filer quelques écarts de voix. Dans ce va et vient entre une image projetée éclairée où les personnages semblent gagner un sursaut de vie, et les espaces enténébrés où les personnages semblent subir des vies intérieures, La peur de n’être se regarde comme le rouleau d’une pellicule photo où l’on saisit des vies en noir et blanc. Impression de film kodack… où la mise en scène s’apparente à une série de flash et d’exposition de négatifs.
Au terme de cette mise en place d’un espace dialectique où l’on parle entre-soi, le travail de Fabrice Murgia laisse un goût d’inachevé. Un goût de voyage introspectif où les remarques entendues ne disent rien. Succession d’impressions, de remarques touche à tout, d’états hystériques… Murgia passe du coq à l’âne sans prendre le temps d’une immersion plus profonde, et donc plus intense dans le dédale de l’esprit.
Si Deleuze a écrit un jour que “c’est le cerveau qui fait écran”… Notre peur de n’être l’aura fait mentir. Ici, c’est l’écran qui fait écran. Soit, d’une certaine manière, toute la différence qu’il peut y avoir entre une idée, et le développement d’une pensée. Notre peur de n’être, c’est juste un bric à brac d’idées… genre stock inépuisable, sans fin, sans réel fond où le catalogue des commissions voisine avec une liste d’anecdotes sur la vie. Why not ?
Bref, ça se regarde pour ce que ça dit… ça s’entend pour ce que ça montre… et si l’achat d’une brosse à dent n’exclut pas une séance chez l’analyste, si la promenade du toutou n’exclut pas l’errance de l’esprit… on attend de la scène qu’elle nous prive du quotidien tel qu’il est vécu pour nous rendre familier du quotidien tel qu’on ne le perçoit plus. Chez Murgia, Notre peur de n’être n’évite ni le cliché, ni la longueur, ni l’attente… genre rendez-vous chez le médecin de famille.