I AM… “JE QUI ÇA ?”
I AM, spectacle de Lemi Ponifasio, Festival d’Avignon 2014
I am… Deux mots simples pour exprimer ou revendiquer une existence. C’est vraisemblablement ce qu’exprime Lemi Ponifasio, metteur en scène de Nouvelle Zélande, à travers le titre de ce spectacle qui demeure mystérieux, évoque la première guerre mondiale comme fondation, s’inquiète de la pratique théâtrale, doute de l’humanité, espère la Terre promise (rien n’est inventé, tout est dans le programme)… Généalogie d’une œuvre (pour le moins complexe) où Artaud, Müller et Macahon sont considérés comme des amis. Je ne sais trop ce qu’en dirait les deux premiers !
Un homme au garde-à-vous pendant que retentit l’hymne national français la marseillaise. Un vieil homme habillé d’une vareuse. Puis un autre, plus vigoureux, plus jeune, sur fond noir incliné… un homme en costume qui parle. Et alors que la parole s’emballe au cours de cette séquence longue, il semble que cette parole se métamorphose en chant ou en prière. L’indécision n’obscurcit guère qu’il s’agit d’une incantation, de toutes les manières. Sortent alors des formes humaines, peut-être des esprits appelés par ce “chant”. Ils poussent des “cercueils noirs”, à la chaîne.
C’est énigmatique, et la scène se regarde comme un ilôt indépendant où les séquences iront se multipliant. Là, une chorégraphie d’un homme qui se bat avec des interprètes qu’il va chercher un à un… impression d’une épreuve de titan. Là, un homme, le dos en arrière, souffle à distance sur une rangée de danseurs allongés. Il les fait vibrer par quelques forces insolites, les bouscules d’un souffle puissant. Là, une femme au crâne rasé, en longue robe blanche, parée d’un fusil et de fleurs blanches qui sont jetés à ses pieds reçoit les crachats de tout un groupe à tour de rôle. Là, un muezzin aux accents lyriques, au sommet du mur de la cour, adresse à la ville une prière qui, en arabe, chante que Dieu est grand. Là, un mur d’eau, un déluge vidéo, s’abat sur le mur d’enceinte de la cour… là, la femme au crâne rasé dit un fragment du Hamlet Machine d’Heiner Muller (le passage où l’assassin saillit Lady anne la femme de l’assassiné. Entre temps, une femme au yeux écarquillés, aux mains tremblantes et arpentant tout le front de scène aura frôler une transe qu’on imagine rituelle. S’adressant peut-être à la salle dans une sorte d’invitation ou d’invective…
Là, enfin, comme cloué sur le mur qui s’est incliné, un danseur figure le Christ. Pris de convulsions après que l’homme au garde-à-vous lui aura lancé des œufs qui, jamais, ne l’atteindront. Comme protégé d’un manteau invisible, ou d’une main puissante, en quelque sorte…
De tout cela, on ne peut que saisir que quelques bribes ou quelques sensations. Sentir quelques allusions quand elles sont fortement revendiquées. L’expérience elle-même semble interdite puisque les seules issues, au-delà d’une performance esthétique, sont les traces du religieux qui viennent sans cesse hanter ce spectacle. La lecture du programme le revendique si fort… et les références à Colin Mccahon soutiennent ce sentiment, lui qui, à travers son œuvre, cherche “la rédemption, la vérité, la lumière, Dieu”. Et soulignant, on comprend assez difficilement les références à Heiner Müller et au Pour en finir avec le Jugement de Dieu… d’Artaud. Iam… What ? who ? Why ?
“Je qui ça ?” disait Muller.
Dehors, un jongleur de feu, sur une musique tzigane, montre toute sa technique. C’est cette image là que j’ai en tête… en m’éloignant…. L’artiste, ce technicien.