Swamp… gloups, pas du fan club
Il y a près de dix ans, Philippe Quesne et son Vivarium Studio signaient La Démangeaison des ailes. Une création qui marquait également un processus de travail où le groupe est celui qui écrit les spectacles. Dix ans plus tard, regardant Swamp Club, à Vedène, on pourrait s’interroger sur le tarissement des auteurs, ou disons leur inappétence pour le travail qu’ils font.
« Pourquoi avoir situé ce centre d’art dans un marécage ?
J’ai toujours aimé plonger mes pièces dans des espaces de terrarium, propices à l’observation des « espèces », des lieux insolites ou des paysages artificiels, comme le terrain de neige en coton pour La Mélancolie des dragons. Le marécage trouve son origine au terme de Big Bang, notre dernier spectacle, qui se terminait dans un bassin, entre une ambiance de fin du monde et de studio de cinéma. Cette nouvelle création reprend quelques années plus tard : des herbes et des plantes aquatiques ont poussé, le lieu est devenu un étang incertain. Un bâtiment vitré posé sur pilotis, semblable à un vaisseau spatial, permet de prendre de la hauteur. On y est comme entre deux mondes, hors sol. Le marécage est également un lieu « purgatoire », porteur d’une imagerie métaphorique forte »… pouvait-on lire dans le programme distribué pour Swamp club de Philippe Quesne.
Et de fait, l’impression de marécage pourrait venir à l’usure. Mais bien avant d’en cironscrire les raisons, peut-être faut-il décrire un peu ce qui était observable dans Swamp club. Peut-être faut-il écrire ce qui, 1H35 plus loin, laisse un goût amer.
Tenu à une pénombre qui entretiendrait une forme d’espace clandestin, Swamp Club est d’abord et avant toute chose, un lieu organisé en trois pôles : une maison aux parois translucides (genre habitat du futur ou aquarium), un « jardin » marécageux où la petite communauté qui y vit entretient des plantes en pot et des animaux en plastique, enfin une caverne qui est également une mine orifère où vit une taupe énorme. A quoi il faudrait ajouter l’idée que ce « camp retranché » n’est pas étranger non plus à un espace extérieur synonyme ici de « menace ». Swamp Club, pour autant, n’est pas totalement coupé du monde et accueille des « touristes » amateurs de sensations réelles : retour aux vies d’antan, séjour méditatif, retraite monastique ponctuée de séances collectives de remise en forme… Si le programme ne le soulignait (il s’agit en fait d’un centre d’art autonome), on pourrait tout simplement regarder Swamp comme un ersatz du club-Med, un espace occupé par une secte (petit capuchon sur la tête ou uniforme ?), un village clanique… L’ethnologue hésiterait ainsi sur la tribu qui vit là et ses déterminations à vouloir se tenir à la marge du monde.
Les minutes de la représentation seront alors ponctuées des gestes et autres mouvements qui peuvent régler la vie d’un groupe qui fait le choix de la vie en communauté. A la polonaise, au finlandais et au Picard qui les ont rejoint, le groupe d’autochtone (la femme guide, l’homme valet, le vieux sage) proposera ainsi les activités d’un koh-lanta pour esprit zen. Le sauna, la pratique de la pèche, celle de la chasse à l’arc, le partage des pépites d’or, etc. Et les activités culturelles : découverte de la bibliothèque, aventure dans le home cinéma, etc.
Swamp va ainsi, au gré d’une ligne à cristaux liquides qui décline le programme de la journée ou des journées qui se ressemblent toutes. Au gré aussi d’un quator qui joue Schubert (la Jeune fille et la mort).
Le « piment » de Swamp, dans ce combo improbable, tenant à l’apparition d’une taupe gigantesque (genre grosse peluche) dont la présence hors-terre annonce une menace. Effet immédiat de mobilisation générale de la petite communauté qui se met en ordre de bataille : rangement des plantes et des bestioles, organisation de la résistance face à un ennemi invisible, etc.
Bref, 1H35 plus tard, le décor est rangé et la communauté Swamp vient saluer devant une salle « tiède », quand au soir, au potager, quelques voix font entendre que « c’était un Quesne génial ». Ouf, Aïe, Diantre, Zut alors…
Non-joué, anti-théâtral, adoptant une lenteur débonnaire… Swamp club pourrait être identifié à un ovni, si le spectacle ne procédait d’une idéologie totalement ringarde où la théorie du complot et du « pour vivre heureux vivons caché » n’était à l’œuvre. Spectacle parano, en définitive, où Quesne, au prétexte de la mise en scène d’un monde à la marge (et donc toujours meilleur dans les représentations collectives), ne distillait son rapport au monde. A quoi tient-il précisément ?
D’abord, au développement d’une idée que le monde artistique et de celui de la création doivent se protéger et se libérer des forces du mal (vous, moi, nous). Ensuite, àl’idée d’un éternel retour aux sources du bien contre le mal…
C’est que Swamp club, un rien ésotérique, se regarde comme une œuvre d’exclusion où la peur de l’extérieur est le principe structurant. Principe bourgeois, en fait, qui préfère le repli sur soi, la retraite dorée, et les barbelés écologiques (le marécage est une ligne de défense), les atolls du « on est enfin entre nous »… A la lutte, au conflit, à l’engagement, à l’affrontement, Swamp club est ainsi une sorte de traité qui privilégie un pacifisme argenté. Le coup des « pépites géantes » révélant, in fine, que Quesne ne tient pas à changer de système, mais juste à en profiter sans en subir les affres.
Dès lors, il faut bien se résoudre à penser que ce travail ne développe qu’un propos pour Bobo où le mot de « communauté » n’est rien moins que le mot qui habille un égoïsme et un egotisme démesurés.
Et de conclure en se disant que les seuls éléments plastiques de cette proposition esthétique bonnasse (le mot est de Badiou pour désigner l’esthétique bourgeoise) tenait aux plantes et aux animaux. Ou quand regardant Swamp, on finit par faire « gloups »…
Et il faut être patient, vraiment, pour ne pas quitter la visite de ce spectacle qui met en scène la « misère d’une pensée ». Ce qui est en soi une réponse possible au motif de la Patienta de Brueggel qui a inspiré Quesne.