Amour par K.O.
Clôture de l’amour, spectacle de Pascal Rambert — Festival d’Avignon 2011
Le 27 février, à 20h30, se jouera à Caen, au Panta-Théâtre, une reprise du spectacle de Pascal Rambert. Une rencontre aura lieu avec l’auteur à l’issue de la représentation. L’occasion de remonter la critique en date du festival d’Avignon de 2011[[À Caen, Pascal Rambert remplace Stanislas Nordey qui jouait lors de la création du spectacle]].
Qui connaît le Théâtre de Gennevilliers reconnaît immédiatement son plateau 3 sur lequel nous avons pu voir 16 ans mis en scène par Pascal Rambert directeur du T2G. Cette salle de répétition est transposée à Avignon dans la salle Benoît XII pour accueillir Clôture de l’amour dernière création de Rambert. Gennevilliers s’inscrit dans Avignon comme une déclaration de l’attachement de Rambert à ces deux villes de théâtre. Insciption aussi d’un espace de la banlieue parisienne au cœur du Festival, rue des Teinturiers. Clôture de l’amour expose, surexpose la rupture d’un couple, une explosion ou un essorage qui s’écrit dans un espace concret et public. Ce lieu sera traversé par la chorale de Gennevilliers pour répéter et interpréter Happe de Bashung. Chanson qui clôt la parole de l’homme et qui ouvre la réponse de la femme. Ce sont Stanislas Nordey et Audrey Bonnet qui interprètent les rôles de Stan et Audrey. Une écriture que Pascal Rambert a voulu pour eux. En Amoureux des acteurs, de leurs voix et de leur corps, il leur a écrit un texte violent qu’ils vivent plus qu’ils ne jouent. Le motif de la rupture, du déchirement que Rambert a déjà mis en scène dans un court-métrage Car Wash .
Dans la salle Benoît XII, ça s’installe face à cet espace reproduisant le réel. Les deux acteurs entrent en scène et c’est parti, pas le temps d’attendre. Pas de précaution d’un début qui s’installe. Nous sommes collés au fauteuil et Stanislas Norday décoche ses premières flèches disant : « je voulais te voir pour te dire que ça s’arrête ». Début d’un spectacle qui exprime une fin, début qui explose qui ne peut attendre de dire cette volonté d’en finir, de s’arrêter. Un discours pour clore cette histoire, pour cesser de se raconter des histoires sur ce qu’ils sont. Pendant une heure, Stanislas Norday adresse à Audrey Bonnet ses coups, ses mots. Il dit la rupture du contrat qu’il n’a pas signé. Le texte est une parole de la pensée. Ça voyage d’un endroit à un autre. Ça saute d’une idée à une autre. Nous entendons cette difficulté à dire tout ça comme ça. Les mots sortent en même temps que les idées arrivent. Audrey, elle encaisse, souvent fixe, droite, digne parfois le corps plie, tremble. Aucun mot envoyé n’est pas reçu par l’actrice qui sait qu’elle est l’image de notre oreille. Ça s’entend, ça n’arrête pas d’entendre la sincérité de cet homme faisant un inventaire vain d’une histoire finie. Il construit par la parole cette clôture, il se barricade avec ses mots. C’est une parole en rupture, un souvenir chasse une description de ce qu’elle est, ce qu’elle n’est plus. Ils sont dans le théâtre, Rambert trouble cette rupture avec des références à l’art de l’acteur, à la façon d’être à la scène. Ce texte joue avec les spectateurs qui écoutent mais qui ne sont pas témoins de ce déchirement, qui n’ont pas à être témoins de ça. Stan dit : « si il y avait des gens qui écoutaient ici, ils seraient raidis ». Une feinte qui nous remet à notre place de voyeur, de spectateur d’un intime. On entend une langue qui dit la fin d’un langage commun, d’un langage partagé. Rambert fait des bonds entre les langues. À l’écoute de ces bonds, on entend cet intime pris en même temps dans les mots d’un monde informatisé et dans des expressions toutes faites. C’est un amour perdu dans les mots du théâtre et dans la langue de leur histoire. Cette histoire qu’on imagine, qu’on devine dans les interstices de ce qui n’est pas dit. Mais avec malice et humour, Rambert dans ce premier round fait le commentaire du langage qu’il déploie. Stanislas Norday dans une tension de la parole, de la langue, transpire pour dire à celle qui le fait suer : « C’est fini et c’est bien ». Le tee-shirt de l’acteur est le marqueur de l’énergie mis en œuvre pour mettre à mort l’amour. Il passe du jaune à l’orange au fur à mesure que l’acteur sue. Stan dans ce monologue tente de laver cette histoire, d’en faire disparaître les traces et les taches. Il continue à dire jusqu’à l’interruption du groupe d’enfant venu chanter. Il n’a pas fini sa tentative de lavage, mais ce « et » comme un suspend est repris au bond par Audrey qui commence l’essorage. Elle commence par « tu as fini » moins interrogatif qu’affirmatif. Elle a entendu, nous l’avons vu entendre, encaisser. On attend dans le plaisir effrayé du combat, de la réplique qui s’annonce. L’essorage commence, elle reprend point par point l’ordre du discours de cet homme qui affirmait une assurance mâle. Elle reprend les mots et les décortique pour montrer la monstruosité de sa diatribe. Elle ne laisse rien passer, lui subit les coups. Quand lui envoyait des flèches, elle lui retourne des salves de missiles. Ça brasse, à tour de bras elle démonte. Lui ne peut qu’écouter mais ne tient pas ne se tient pas debout, il vacille. C’est la parole de l’attaquée qui en même temps qu’elle vise et touche l’attaquant, retrace l’histoire, leur histoire. On pensera à « Comme un boomerang » de Gainsbourg dans cet extrait : « Toi qui fait partie du gang / De mes séducteurs passés / Prends garde à ce boomerang / Il pourrait te faire payer / Toutes ces tortures de cinglés / Que tu m’as fait endurer ». Audrey Bonnet déploie une énergie pour redire les traces des souvenirs communs. Ce second round est terrible, puisque sous couvert de sensibilité, la femme saccage la parole première et détruit l’homme. Il n’existe plus : « t’es qui ?, on se connaît ? on s’est déjà rencontré ? ». Seuls les souvenirs elle les garde. Lui qui piteux voulait conserver une chaise rose, elle lui laisse l’objet, la mémoire lui suffit. Elle garde les enfants quand lui ne les a pas évoqué.
Rambert nous convoque à un endroit d’intimité où il ne laisse rien passer. Le langage, il le sait, dit le monde autant qu’il le ment. C’est dans une fiction de rupture qu’il dit aussi sa différence vis à vis d’un certain théâtre. Rambert réussit à nous raconter une histoire qui s’inscrit dans un motif simple en définissant son amour de la langue, des corps et de l’art. Il déploie une langue « parlée » comme génératrice d’une poésie. Il inscrit cette pièce dans une chorégraphie précise et exigeante. Il déplie son rapport à l’art reliant entre autre le classicisme de Fragonard et une chanson de Bashung sans hiérarchie.