Biais du statu quo : Retour à…
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Chorégraphie et mise en scène de Angelin Preljocaj
Preljocaj montre Retour à Berratham à la Cour d’Honneur.
Première hier soir.
Rien… Ennui… Ridicule… ou trois fois « Putain ! ».
Cour d’honneur, Palais du pape : Il y a eu Castelucci, Marthaler, Ostermeier…
Je les ai tous raté. Et pour ma découverte du Cours d’honneur, j’ai Preljocaj. Ça donne pas envie d’y retourner.
Un mythe. Encore un. En tout cas, une tentative d’un mythe. Une belle histoire. Une grande histoire. Une copie d’une épopée antique dans une langue contemporaine, une tragédie de plus, classique, tellement vu, avec des mots autres. « Putain ! »
« Un jeune homme revient à Berratham. Il avait quitté cet endroit juste avant la guerre, il avait laissé Katja derrière lui. Il n’a qu’une obsession : tenir sa promesse en la retrouvant. Là, il ne reconnaît plus les lieux de son enfance, dévastés, ni les gens qui y vivent encore, livrés à eux-mêmes… » (v. programme)
S’en suivent meurtres, coucheries, viols, tromperies, jalousies, enfants perdus, amours si vrais, orphelins… et c’est tellement tragique que les comédiens ne peuvent pas s’empêcher de chantonner une mélodie tragique en étirant les voyelles et terminant les phrases gravement. Oh. Oh ! Oh, lalaaa !!! Katjaaaaa ! Ai-je bien entendu que le méchant s’appelle Whisky parce qu’il a l’alcool mauvais ? Enfin, les mecs se battent et gueulent de toute façon. Les femmes y sont des Madeleines ou de Marie, enfin, des victimes, à part si le texte que je n’ai pas entendu parce qu’il ne passait pas la rampe, disait autre chose. Non, non, ce n’était pas du tout une question acoustique. Ce texte était tellement masqué par un jeu pathétique, de mélodie pseudo-tragique, mélodramatique, les bras dans l’air…
C’était un tel effort pour arriver au sens des mots qu’une voisine faisait signe de me taire avec mes feuilles de papier sur lesquels je notais quelques trucs. Confusion entre l’acoustique et l’énonciation. Mon dieu, on est à l’église. D’autant que les quelques phrases qui me parviennent bavent d’un bas moralisme : « vous regardez, nous regardons et personne ne baisse les yeux pendant qu’elle est en train de s’ébattre et pleurer… » ai ai ai… donnez moi un fouet pour que je m’auto-flagelle ! « Taisez-vous ! » crié, gueulé à plusieurs reprises… « Putain ! » (Mauvignier)
De toute façon, le texte aurait pu être le Manifeste du parti communiste que cette mise en scène n’aurait pas posé moins de problèmes. Les ballerines, c’est ainsi qu’il faut les nommer, les ballerines de seconde ordre sont là comme à l’armée le prolétariat. C’est la chair aux canons. C’est le corps aliéné dans un ordre dominant. Qu’il suive le mouvement exactement, parfaitement, parce qu’on VOIT tous les défauts ! C’est ces corps, la majorité des corps sur scène qui servent d’image, de glorifier une minorité absolue et dans les moments rares où ils tentent une libération, ils sont vite remis à leurs places. Des images qui sont souvent redondants avec le texte comme si on semble nous dire : au cas où vous ne comprenez pas, regardez. La redondance du texte, avec son énonciation, avec les corps dansants devant, parfois des duos doublés ou triplés, un copier-coller… Mais qu’est-ce que ça raconte !? Rien. Ou peut-être l’injonction de faire ses devoirs, le retour d’un autoritarisme, disciplinaire, tout contre quoi l’avant-garde du 20ième siècle s’est révolté. Les femmes ont des frénésies de ménage et ne savent pas pourquoi. La mocheté et la violence de ce monde d’après-guerre que Preljocaj et Mauvignier ont peut-être voulu problématiser, nous est livré de telle sorte qu’elle nous laisse aucune ouverture, possibilité de réflexion, critique. Elle n’est nullement crédible ! Elle est donnée et acceptée, banalisé, in-crédible, et du coup signée comme le sang dans les films hollywoodiens. Tout est appauvri. Que le statu quo règne ! Statu quo ante bellum ? Il y a eu certes des guerres, mais il me semble de ne pas abuser de dire que l’ambiance actuelle du monde ressemble plutôt à une situation avant-guerre qu’une post-guerre. C’est seulement dans cette cécité du monde qu’on peut oser nous raconter une telle histoire. À moins qu’on prônerait un retour esthétique à l’avant-guerre… ce qui ne reculerai aucunement, voire le contraire, les guerres à venir… Et quand la narration avec son énonciation mielleuse vient aux ébats sexuels, cela devient carrément gênant. Sinon, on a envie de rire. Oui, je dirais que ce serait risible, ridicule même, si les collectivités territoriales ne dépenserait pas près de 3 000 000 d’euros par an pour ce CCN.
« Putain ! » (Mauvignier) Mais j’ai le plaisir d’être pour une fois d’accord avec le public qui, au noir, hue les 1h45 de trop…