20 Novembre : une histoire pour qui
Lena Paugam met en scène 20 novembre de Lars Norén. Cela se joue dans le Festival off d’Avignon 2017 à la Manufacture. Un projet initialement prévu pour le milieu scolaire qui voudrait « ouvrir un débat ». Entre provocation et volonté de pensée critique, il n’est pas sûr que ce soit l’ordre établi qui en sorte vainqueur.
20 novembre mis en scène par Lena Paugam fonctionne sur une sorte de dramaturgie de prise d’otage. La peur probable des victimes du tueur est transposée sur l’acte scénique. Le public est assis dans une salle de classe réelle, l’acteur jouant le tueur tourne autour et s’adresse au public, lui demande, de temps en temps, de répondre à des questions. Après que la salle a répondu, sans le savoir, plus ou moins à l’unanimité, par un oui à la guerre totale, ou, comme dit le camarade, pour simplement « jouer le jeu », il y règne la peur de dire des conneries ou des atrocités. L’arbitraire du choix des victimes met en alerte la salle. Que vais-je dire, que vais-je faire s’il me demande quelque chose ?
Le spectacle s’est créé en immersion dans un lycée à St-Brieuc et a été conçu pour être joué dans les écoles notamment. Lena Paugam voudrait « proposer l’ouverture d’un débat avec les spectateurs » sur les thèmes abordées dans la pièce de Lars Norén.
Surgit alors la question : quelle politique du spectateur se trouve derrière un procédé de cette sort ? La mise en scène se voudrait-elle une sorte de provocation pour que les spectatrices et spectateurs réagissent et tentent de problématiser quelque chose ? Que nous sommes des moutons, que nous ne réfléchissons pas par nous-même puisque la majorité de la salle dit oui à la guerre totale ? Ce serait inverser réalité et théâtre. D’ailleurs la preuve : le public n’est pas dupe, car quand il s’agit de chantonner avec l’acteur l’hymne à la joie pour soutenir sa barbarie, personne n’ouvre plus la bouche. Le « vous êtes tous responsable de ce monde de merde » est ici transposé en obligeant le spectateur à être complice en tenant, par exemple, la caméra. Certain.e.s refusent, mais que d’autres le font ne relève que de la situation théâtrale. Peut-être cette mise en scène se voudrait alors une sorte d’éducation de spectateur qui l’invite à ne plus se satisfaire d’écouter des histoires, d’écouter des gens qui parlent devant lui, d’abolir cette situation théâtrale qui sépare la scène de la salle… dès lors, cependant, 20 novembre n’aura plus lieu. Il suffirait de se lever.
Ce serait encore le mieux qui pourrait arriver. La barbarie de l’acte de Sébastian Bosse et son discours pseudo-révolutionnaire, une accusation de ce monde où le sentiment d’absurdité, de non-sens, où le sentiment que les formes de vie majoritaires ne peuvent nous proposer ni une bonne vie, ni une belle vie, où ces sentiments sont probablement largement partagés, sa barbarie et son simplisme, dis-je, deviennent un argument pour les modérés de l’ordre établi. Une extrême droite, pubertaire, invalide tout projet de fonder autrement, de manière radicale, la vie et ce monde, même si c’est à l’opposé du spectre politique. Ça, c’est connu. Ceci se vérifie à un petit mot : « anarchie », qui devient ici une dystopie où chacun.e se défend avec une arme et tue quand il veut, quand il peut. Que le projet de l’anarchie n’a rien à voir avec cela est inutile de dire. Que ce projet politique prend à nouveau une baffle avec Le 20 novembre est probablement une problématique peu thématisée. Ainsi se risque Le 20 novembre en voulant provoquer une pensée critique, paradoxalement, à soutenir les causes de la barbarie de cet adolescent exclu, c’est-à-dire la normativité de notre société et la violence de celle-ci.
À la fin se lève une musique, quelques notes en majeur, peut-être, comme pour clore en disant que ce n’était qu’une histoire. That’s it.
« otage n. m. ostage 1080, aussi « logement, demeure » ; de oste « hôte », les otages étant d’abord logés chez le souverain » (Petit Robert 2005)