« Ambiance dramaturgique » : une fête râtée
La Fiesta d’Israel Galván se joue du 16 au 23 juillet dans la Cour d’Honneur. Pour voir quelque chose il faut peut-être des lorgnons. Entre « ambiance dramaturgique » (kesse sä) plutôt tiède et fête plutôt plate…
Pendant les quelques minutes qui précèdent La Fiesta, les 2000 spectateurs se taisent. Nous attendons silencieusement cette fête comme la messe célébrant l’eucharistie. Nos chers voisins sortent les lorgnons en attendant que la télé, qui filme ce soir Israel Galván, soit prête. Il y a sûrement quelques pubs à passer avant, même si ce n’est pas en direct. Il y a de la pub toujours. Nos chers voisins sont là avec leurs lorgnons comme des miradors des prisons ou les salles vitrées des contremaîtres.
Tous là, en silence, et en âge assez proche de la mort pour avoir des raisons sérieuses de célébrer le christ et quelque part trop éloignés d’une jeunesse pour savoir encore ce qui pourrait être une fête. En tout cas, c’est une drôle de fête cette fête où les uns assis plus ou moins confortablement regardent les autres s’agiter. Une drôle de perversité que ce voyeurisme des jumelles, à regarder les autres sans qu’ils sachent qu’ils sont regardés, ou plutôt ce qui est regardé, ou comment, de quelle distance, ils sont regardés. Même le voisin ne sait pas ce que son voisin regarde. C’est peut-être le popotin de l’un ou les tétés de l’autre. Il y avait peut-être en regardant de près quelque chose à voir. À regarder de près ces regards rapprochés, c’est étonnant qu’une quelconque crise de jalousie n’ait pas encore jeté le discrédit sur ce phénomène parmi la pratique bourgeoise du spectateur. Mais c’est peut-être là aussi une manière d’assurer des espaces d’exception que la bourgeoisie aime tant se réserver à elle-même pour ne pas mettre en cause la totalité de son système moral. Enfin, bref. La Cour d’honneur d’un moyen d’âge bien avancé regardait donc ce soir Israel Galván qui cherchait à galvaniser (ha ha ha) la foule. La foule restait cependant assez loin d’une énergie galvanique. Après quelques tentatives de ma voisine d’en face de hocher la tête dans les rythmes flamenco, elle devait vite se rendre compte que son attente d’une belle soirée festive pendant laquelle on aurait rêvé de l’Andalousie ou de la Catalogne ou de la musique gitane ou des idées qu’on en avait et de la beauté d’une flamme et de la douleur méditerranéenne en générale serait déçue. On aurait célébré les beaux costumes et les beaux chants. On aurait été ému profondément et nous aurions pu nous célébrer nous-même parce que si ouverts et sensibles etc etc aux cultures minoritaires.
Mais rien de tout cela. Israel Galvàn n’a pas « chercher à faire un fête typiquement flamenca ». Il aurait voulu travailler sur la spontanéité d’une vraie fête. Mais le savoir-faire, la virtuosité même des musiciens et danseurs de cette troupe ne suffit pas pour vaincre « la tristesse de ne pas pouvoir rejoindre les gens ». « Pour moi » écrit Israel Galván à propos d’une fête qu’il n’aurait pas voulu reproduire, « pour moi, cette fête-là, c’est la solitude, la fatigue, le manque d’enthousiasme, la lassitude. » C’est alors une heure trente de claquement et de cris et de bruits et de chants épars qui prétendent fabriquer une « ambiance dramaturgique ». Sans comprendre ce que cela veut dire, je divague et me demande ce qu’on pourrait bien faire dans cette Cour d’honneur…