J’ai bien fait ?
Au théâtre 11 qui réunit le théâtre Gilgamesh et le théâtre de Belleville, Le Théâtre du Préau – CDN de Normandie présente deux créations « Toute entière » de Guillaume Poix avec Aurélie Edeline à 15h10 et « J’ai bien fait ? » à 17h30, texte et mise en scène de Pauline Sales codirectrice du Préau. Ce spectacle met en scène un quatuor qui à partir d’un évènement déclencheur s’interrogent sur l’être. Qui ils sont ? Qui ils ont rêvé d’être ? Comment ils agissent avec leurs vies, leurs peurs ? Les quatre personnages sont interprétés par Hélène Viviès, Anthony Poupard, Gauthier Baillot et Olivia Chatain.
Ce texte est disponible aux Solitaires Intempestifs.
J’ai bien fait ? met en scène quatre personnages qui à partir d’un évènement déclencheur s’interrogent sur l’être, le leur. Qui ils sont ? Qui ils ont rêvé d’être ? Comment ils agissent avec leurs vies, leurs peurs ?
Valentine (Hélène Viviès), 40 ans débarque un soir dans l’atelier de son frère Paul (Anthony Poupard). Ils ne se voyaient plus ou presque, n’ont rien à partager croient-ils. Elle est prof de français dans une ville normande, il est artiste peintre et plasticien en banlieue parisienne. Elle a un mari, Sven (Gauthier Baillot), biologiste, spécialiste de l’ADN, deux enfants presque grands. Il vit seul dans son atelier, n’a pas la reconnaissance qu’il attendait. Ils ont leurs parents, vivants, vieillissants, encombrants. Elle débarque. Un débarquement dans l’atelier plein de traversins blanc. Sans doute une installation plastique de son frère à laquelle personne ne comprendra grand chose, à laquelle personne ne voudra comprendre quelque chose. Mais pour le spectateur, les traversins sont les objets qui accueillent le sommeil, le repos, le temps suspendu, les rêves, les désirs. Ces mêmes désirs que Valentine interroge en faisant irruption chez Paul. Cette explosion dans sa famille, dans cette familiarité, dans cette fraternité pour se retourner sur ses désirs et sur ce qu’elle en a fait. Mais cette question produit comme une bombe, un impact. Là où elle tombe et ceux qu’elle touche : Paul, son frère, Sven son mari, Manhattan (Olivia Chatain) une ancienne élève brillante mais en rupture qui est la femme de ménage de l’atelier. Tous reçoivent la détresse de Valentine et tous répandent leurs doutes et leurs inquiétudes.
Dans un premier temps, c’est le temps des retrouvailles. Valentine et Paul, la quarantaine mais ils savent qu’ils sont encore les enfants d’un couple de vieux. Leurs parents sont là, vivants, ils n’ont pas laissé la place. Ils doivent faire avec ça : avoir des parents et comme le dit Paul : « c’est fou comme on conserve ses parents aujourd’hui. » Dans ces retrouvailles, Paul tente de sortir du lieu, de son lieu. Elle au contraire reste, s’accroche à un lieu, comme un refuge, un endroit où se poser. Ils parlent mais ne s’entendent pas. Si elle lui demande : « c’est quoi ça ? » en montrant une œuvre. Il pense qu’elle lui demande des comptes sur son travail artistique qu’elle trouve à chier. Chaque phrase est sujette à interprétation. Les conflits sont partout : du mode de vie à la présence aux parents en passant par l’égoïsme supposé de l’autre. A travers cette scène, Valentine dit à son frère qu’elle est là parce qu’elle veut « l’encombrer ». Un encombrement en forme de remise en cause de tout. Mais Valentine explique à Paul qu’elle accompagnait des élèves à Paris pour un voyage scolaire et qu’elle les a laissé tout seuls quelque part en ville. Paul sentant le vacillement de sa sœur, la couche et l’abandonne. Cette première scène travaille à la fois sur la tension et sur la mauvaise foi qui permet de naviguer entre humour et gravité.
Sven, le mari de Valentine débarque en avant scène, il rompt l’espace qui a été mis en place en s’adressant directement aux spectateurs. C’est un conférencier. Sa conférence commence par la capacité de son laboratoire d’analyser et de séquencer l’ADN à l’intérieur des os retrouvés de la préhistoire. Mais avec simplicité Gauthier Baillot permet à Sven de faire cette conférence et dans le même temps et avec la même énergie de faire un exposé sur sa vie de couple. Cet exposé alterne de l’espace scientifique à l’espace intime. Ou plus précisément, il analyse et présente de manière analogue ses recherches de biologiste et l’observation de sa femme qui dit-il cherche à ne pas montrer qu’elle existe. Elle ne laisse rien trainer, ne sent rien, n’a plus de saveur… Cette parole de Sven est peut-être le fantasme que sa femme Valentine fait pendant qu’elle dort sur la scène.
L’arrivée de la femme de ménage réveille Valentine et fait entrer dans l’histoire le quatrième personnage : Manhattan. C’est une ancienne élève, brillante mais en échec scolaire. Elles se retrouvent et ont l’une pour l’autre une admiration. Valentine car c’est une élève à qui elle a donné le goût d’écrire et de lire. C’est sa réussite. Manhattan car c’est une prof qui la regardée et qui a eu du désir de succès pour elle. Mais à travers cette scène, Manhattan raconte sa rencontre avec Paul le soir des attentats du 13 novembre 2015. Valentine découvre son frère et dévoile ce que les ados d’aujourd’hui dont sa fille pense de sa génération : « Vous avez eu de la chance. Vous avez eu beaucoup trop de chance, ta génération, j’espère que tu t’en rends compte. Vous n’avez connu aucune guerre. Vous avez vécu tranquilles, vous avez pu faire vos vies sans vous préoccuper de rien. Même pas du futur. Vous ne vous êtes pas gênés. Vous vous êtes servis sans penser à rien. Des vandales, des morfales. Et vous nous demandez d’être bien élevés ? Vous avez tout saccagé. ».
Voilà, Valentine regroupe trois dimensions de sa vie, celle de sa famille qu’elle n’a pas choisie, celle de sa vie amoureuse qu’elle interroge et celle de son métier dont Manhattan est pour elle le résultat de son échec. Dans cette création, le texte, la parole est au centre mais le jeu des interprètes permet au réel multiple et dense des personnages d’être visible et tangible. Les personnages dans ce texte ont la possibilité de dire et de se contredire, ce qui leur donne un contour et une épaisseur. C’est à travers ses quatre personnages complexes que Pauline Sales et son équipe nous plongent dans une introspection du monde dans lequel nous vivons ou nous essayons de vivre. Ce questionnement sur le sens de la vie qu’amène Valentine et qui irradie les autres personnages renvoie au titre : J’ai bien fait ? Ce titre et cette pièce qui avec humour inspecte, interroge avec force et violence la société et la remise en cause régulière des individus qui la compose pour qu’ils définissent eux-mêmes s’ils sont productifs et si leur productivité est nécessaire.
Du 6 au 28 juillet 2017 à 17h30 au 11-Gilgameh Belleville à Avignon, 11 bd Raspail