Jamais assez… it’s enough
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Avignon 2015, Gymnase du lycée Aubanel
Nouvelle déception qui vient à la suite d’autres déceptions. D’évidence, le festival est en train d’établir un record de formes en échec qui devrait finir par produire son effet… Virer les festivaliers, rendre la ville aux avignonais, enterrer définitivement Vilar et encourager les pélerinages sur la tombe du saint homme à Sète. Occasion de faire un petit tour au musée du cinéma, de réciter du Valéry, de faire un tour au musée d’Arts brut et de chanter du Brassens : « trompettes de la renommée vous êtes bien mal embouchées ».
Dans l’entretien auquel se livrent les artistes pour présenter leur création, Fabrice Lambert rapporte dans le programme que Jamais Assez a été écrit à la suite de sa rencontre avec le film de Michael Madsen Into Eternity. En fait, alors que Lambert questionnait la notion de mythologie et son actualité, la découverte de ce film – consacré à Onkalo, en finlande, site d’enfouissement de déchêts radioactifs et nucléaires, pour plus de 100 000 ans à 500 mètres sous la surface du sol – a augmenté sa réflexion. Il y a vu, en effet, « le foyer d’une mythologie » croisant le mythe de Prométhée et celui d’une connaissance du XXIe siècle. « Je perçois un trajet entre Prométhée et Onkalo : deux histoires de feu, d’éternité, de connaissance. C’est sur ce trajet-là que se situe la pièce ».
Soit ! mais encore ?
Pour autant que la parole de Fabrice Lambert se comprendra comme un aveu génétique, voire généalogique, Jamais Assez livre difficilement son origine ou ses références dans le cadre du plateau. L’articulation entre le propos et le geste subit donc un grand écart où, en définitive, le geste chorégraphique qui correspond encore à un « jeter son corps dans la bataille » que Lambert emprunte à Pasolini, est pour le moins invisible.
Au point que l’on peut s’interroger sur la nécessité de lire dans le programme ce qui relève davantage d’un étalage de références intellectualisées que d’une approche sensible du geste.
A l’exception de la première image d’un carré de lumière rongé par une masse noire d’où sortiront les interprètes, il n’y aura dans Jamais Assez que cette image inaugurale pour mettre le spectateur en alerte. Image plastique d’une vague infiniment lente et souveraine qui ne fait appel à aucune référence extérieure. Visuel puissant qui va bientôt disparaître, et qui lorsqu’elle se retire laissera une bande d’interprètes échoués. Ce qui nous place au plus proche de l’échec.
La bande de danseurs et de danseuses se donne alors sans compter. Danse en liberté. A quoi ça se voit un danseur dans Jamais assez… ? Ça se voit parce qu’ils font beaucoup de mouvements pour rendre visibles l’effort. Ça se voit parce qu’ils vont occuper la plateau tout le temps. Mais, ça, finalement, c’est rien ou presque… Un danseur ça se voit parce que ça s’entend. Alors comment ça s’entend un danseur qui danse… ? C’est simple ça s’entend parce que la chorégraphie – ou disons le package expression corporelle – prevoit de vous faire entendre le souffle des danseurs. Oui, c’est ça… Il faut faire entendre le souffle du danseur épuisé, fatigué de danser, haletant parce que l’effort serait le symptome de la danse présente.
C’est juste ça Jamais assez et pour autant que l’on entend l’expiration fatiguée et haletante, qui ferait croire au travail, à la virtuosité, à l’épuisement, ça ne suffit pas. La glose prend alors le dessus Jamais Assez, c’est « ça ne suffit pas ». Ça ne souffle pas… au sens où le Geist (le souffle ou l’esprit) est absent.
C’est comme ça Jamais assez. Sauf qu’ici Jamais assez, c’est un peu comme une pièce chorégraphique qui offrirait ce que personne ne lui demande plus. Ce que l’on ne demande plus à la pratique chorégraphique c’est un rapport au mouvement saturé (espace sonore itou). Ce que l’on ne tient plus à voir, c’est ce que Lambert produit : du vent. Ou une confusion entre souffle et vent.
Jamais assez, c’est donc juste du vent. Un agrégat de citations posées dans le programme qui intellectualiserait le propos. Genre noms prestigieux qui viendrait soutenir ce qui ne tient pas debout, ce qui ne peut être soutenu. Genre patronyme qui servirait de vertébral à une œuvre flasque. Inventaire luxueux de la pensée contemporaine qui, à défaut d’être un matériau, devient un consommable. Effet de l’industrialisation de la culture qui fait qu’un Savon, une tasse, un plat cuisiné… sont aujourd’hui liés au « concept ». Ah, le « concept » des philosophes aux dents creuses… Oui, on en est là. Dans le désert, et avouons-le, nous ne sommes qu’au début du désert.
Auquel cas, on s’inquiéte de Jamais assez. Pourquoi chercher à légitimer par des intellos (sur lesquels le champ social crache allégrement) une langue qui échappe au circuit de la communication ? Pourquoi proposer du concept, quand la chorégraphie est résolument du côté des affects ? Qu’est-ce qui peut bien pousser Lambert à justifier son geste par un ensemble qui lui étranger et que la scène nous révélera comme étranger. Jamais assez… Bientôt le titre se change juste et simplement en sentiment… Oui, jamais assez, c’est juste trop.