La grève ou…
Ce 12 juillet 2014, la grève a été voté par 64 % du personnel du Festival d’Avignon. 8 sur 13 spectacles sont en grève. Les élèves de l’école de la Comédie de Saint-Étienne jouent leur dernière et essayent de montrer leur solidarité avec le mouvement avec un discours avant et après le spectacle. Leur emphase pathétique pourrait trahir leur manque de sincérité. À la vue du résultat scénique, ils auront mieux fait de faire grève, pour eux, pour nous et pour le mouvement.
La question n’est pas de savoir si c’est bon ou mauvais. La question, c’est comment est-ce possible que quelque chose comme ça se trouve au Festival d’Avignon. Un Festival qui a toujours voulu défendre un théâtre d’art européen propose donc à deux écoles d’acteurs une plage dans la programmation, c’est-à-dire à des jeunes gens en formation. L’école de la Comédie de Saint-Étienne présente dans la Gymnase du Lycée Saint-Joseph un – on l’apprend dans le programme – atelier-spectacle. C’est-à-dire un truc où on essaie, on cherche, mais où l’on n’est pas dans un souci de finalisation pour une confrontation au public. C’est tout à fait Nature Morte. Un atelier ou un spectacle de fin d’année de copains lycéens. Mais comment est-ce donc possible qu’un tel … truc soit programmé officiellement dans le Festival d’Avignon, si ce n’est la mission principale des écoles nationales et régionales d’importance d’insérer leurs élèves dans la profession coûte que coûte. (On n’a pas inventé pour rien le Diplôme National Supérieur Professionnel de Comédien afin de tenter de régulariser l’accès au marché culturel.) L’art alors compte peu, l’importance est le marché. Et Olivier Py semble vouloir jouer ce jeu tout en le déguisant sous des prétextes de donner place à des jeunes. Que la jeunesse et l’excellence institutionnelle ne soit pas un garant pour que quelque chose se passe qui vaut la peine d’être regardé compte peu. Qu’une sélection de profils pour le marché sur deux minutes d’audition de la part des écoles soit une procédure absurde face à, par exemple, l’université où tout le monde est accepté et où – nous avons la preuve ce soir – l’intelligence et même – on a du mal à le croire – le jeu soit de meilleur qualité, compte peu. Tout est une question politique et économique, de relations de pouvoir, de reconnaissance institutionnelle. L’art est ailleurs. Une fois pris dans le marché, eh bien, on voit rarement des commerçants faire grève. Il ne faut pas perdre le client. La justification que la pièce serait politique, serait en résonance avec ce qui se passe, est un rachat minable des consciences. Elle peut défendre autant des valeurs révolutionnaires qu’elle veut, mais cela ne sera jamais le même acte et ne pourra jamais avoir le même impact économique que l’annulation d’un spectacle. Impact économique majeur (annulation de réservations d’hôtel, de restau, sans parler du trou financier qu’un jour de grève doit amener au Festival. Déjà plus de 100 000 euros.) sur lequel le mouvement gagne son rapport de force, aussi « débile » que ce soit. Il est regrettable qu’un mouvement qui se veut unanime et solidaire est si fragile dans le pourcentage des votes (participation de 46%) et fragilisé d’avantage par ce qu’on nomme habituellement des briseurs de grève… (Le directeur du festival indique déjà son désaccord avec la stratégie de ne pas jouer. L’équipe de Orlando verse alors ses salaires du jour à la caisse du collectif du in en guise de solidarité.)
Pour ce qui est de la scène, je n’ai rien compris ce soir, je l’avoue. Soit il n’y avait rien à comprendre, ce qui est fort possible, soit parce que Michel Raskine a noyé le texte à force de ne pas vouloir être « pléonastique », ce qui est fort possible aussi. On a l’impression d’une pseudo-rationalisation de la scène pour bien reconnaître une certaine structure de la pièce. Que dans l’écriture les choses reviennent. Trompette 1, 2 et 3. Salutation à la ville 1, 2 et 3. etc. etc. Le bric-à-brac scénographique est organisé en rangées militaires dont leur signification me reste obscure. Une danse débile sur de la musique lounge qui revient à trois reprises, comme pour vouloir nous achever définitivement, annonce une autre salutation à la ville (ou autre chose). Elle descend doucement pour bien laisser les acteurs alignés dans le vide qui, une fois le silence, attaqueront leur texte en chœur avec des sacs de papier sur la tête et le torse dénudé. Je cherche désespéramment un parti pris de mise en scène pour ce cafouillage de rythme et de tensions d’air, mais ne peux rien trouver que l’ennui. Pareil pour le choix de laisser la lumière de jour entrer dans la salle par les fenêtres de la gymnase qui baignent alors les spectateurs et les acteurs dans un même espace – genre pour dire que c’est un atelier. Leurs appels au citoyen de se couper ses poils, de se toucher son sexe, son cul etc. sont adressés face, avec des couronnes de fleurs sur leurs têtes, mais avec un quatrième mur. Le regard des actrices et acteurs va à l’intérieur. Nous, devant, n’existons pas. Il voulait peut-être pas nous choquer. D’accord, pas de problème, mais encore une fois, c’était illisible. Parlons même pas des costumes. Parlons même pas d’un sur-jeu. D’une volonté de faire absurde. De vider toute violence du texte par une ridiculisation de la parole. Même chez Pyjama pour six, il y avait plus de sincérité. Quand Michel Raskine propose derrière notre dos une pause aux acteurs, les spectateurs applaudissent déjà pour être libérés, mais cela continue. La pause est une pause jouée – genre pour dire que c’est un atelier. Si, au moins, il y avait cette volonté de dérouter le spectateur… je ne vois rien. Il y avait certainement un référentiel bien propre à notre cher Michel. Il est même douteux si les comédiens le partageaient. Des signes arbitraires qui suivaient en parallèle le texte, dans l’idée de quelque chose. L’idée de faire entendre le texte, l’idée d’une réflexion méta-théâtrale, l’idée d’être postmoderne et brouiller les pistes, l’idée d’être politique, radical…, tout sans nécessité, sans ancrage, sans justesse, sans réflexion dramaturgique. L’idée de …
Enfin, si on creuse un trou au texte, de peur d’être redondant, si à aucune expressivité est donnée sa chance, eh bien, il ne reste qu’à chanter Joe Dassin en grecque (?)… ou, pour être un bien-pensant de gauche, faire entendre l’international par ces petites machines qu’on tourne et qui jouent généralement les hits classiques de la bourgeoisie. Les comédiennes et comédiens tiennent alors une photo d’eux à l’âge de 15 ans devant leurs visages, âge de la mort du jeune Grec dont sa photo est accrochée un peu partout… Tout ça dans un mouvement de chœur qui est prévisible et qui nous emmerde depuis le début où une personne commence, puis une deuxième qui répète, un troisième et quatrième… jusqu’à neuf. La lenteur et la mollesse rythmique de ce travail n’a rien à voir avec un explosif révolutionnaire. Bref…
La question ce soir était : la grève ou… rien. Vous savez ce que vous avez choisi.