Peut-être, Sans doute, sûrement ?
Sans doute, Jean-Paul Delore, cloître des Carmes, 22 juillet 2013 : le titre s’avère trompeur pour désigner ce concert de musique expérimentale où les formes les plus diverses s’inventent et se côtoient, résistant à toute tentative de catégorisation. Le spectacle s’inscrit dans un vaste projet du collectif LZD-Lézard Dramatique créé par Jean-Paul Delore en 1978, Carnets Sud / Nord, conçu comme un laboratoire de création itinérant qui puise son inspiration alternativement à Kinshasa et Brazzaville aux deux Congo, à Maputo au Mozambique et Johannesburg en Afrique du Sud, à Rio de Janeiro au Brésil, en France et au Japon. Il met en scène Dieudonné Niangouna, l’un des deux artistes associés de l’édition 2013 du Festival, ici récitant et danseur.
Les volets précédents de ce projet pluriel incluent Affaires étrangères, Ilda, Nicole, Songi Songi, Kukuga Système mélancolique, Un grand silence prochain, Langues et lueurs et Ster City. Sans doute fait encore écho à Peut-être, comme pour affirmer le chemin parcouru depuis le début des Carnets, il y a plus de dix ans, en 2002, et la raison d’être des rencontres artistiques qui le jalonnent. « Voyage sonore », « oratorio hard barock », « poème parlé-chanté » : autant de tentatives pour définir ce spectacle hybride qui mêle verbe et musique, voix, langues, bruitages, ambiances et notes, folklore, jazz, rock, rap, électro-acoustique… Les artistes ont cette capacité à faire retour sur le spectacle qu’ils sont en train d’interpréter, à le mettre en questions spontanément, comme y invite la forme inachevée du carnet : « C’est quel genre ? / Un peu tous les genres ». L’orchestre (batterie, clavier, saxophone, harmonica, guitare électrique et basse) voisine avec une table de mixage et une console pour traiter le son par ordinateur. Le spectacle est une invitation au voyage, à l’image de cette 67e édition du Festival : une rampe lumineuse borde l’avant-scène, dessinant une piste d’atterrissage sur laquelle viennent se poser les douze interprètes ; on entend la voix suave d’une hôtesse de l’air mêlée à l’évocation des douaniers gabonais. Au cours du concert, un récitant rappelle : « Il y a des voyages sans départ ».
Erigé en tour de Babel, le cloître des Carmes résonne d’un oratorio nouveau genre qui couvre le chant persistant des cigales. Seul un chien hurle à la mort, profitant d’un temps de silence entre deux morceaux. « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » : paroles de la chanson ? question à la cantonade ? Un spectateur facétieux répond : « On s’en va ! ». Les textes psalmodiés de Mia Couto, Jean-Paul Delore, Eugène Durif, Sony Labou Tansi, Dieudonné Niangouna et Nicholas Welch laissent pour le moins songeur, lorsqu’ils sont en français : le refrain « Qu’est-ce qu’on nous pique, nous ? » qui joue des allitérations et du rythme des monosyllabes, ou encore ces bribes saisies à la volée : « les canards, les haricots et la radio » ; « Angelica n’aime pas l’eau de mer, ses pieds non plus » ; « je chie sur le patrimoine de l’humanité » ; « Hector aime les vagins gras et les caresses grasses ». En fin de compte, la magie opère lorsque la voix se cantonne au para-verbal, se fait instrument, cri guttural, feulement ou vocalise, lorsque les langues se superposent et se heurtent, réduites à une épaisseur de sons.
Ce qui ne fait pas l’ombre d’un doute, en revanche, c’est l’enthousiasme et l’énergie débordante des douze artistes qui, s’ils ont tous déjà participé à l’une ou l’autre page des Carnets, se trouvent réunis pour la première fois par Jean-Paul Delore et trouvent manifestement du plaisir à mettre leur technique au service d’une improvisation collective. Niangouna, en robe longue de satin ivoire, vient danser dans les gradins au milieu du public. On aimerait entendre davantage la chanteuse brésilienne en portugais…
Un moment musical festif, à n’en pas douter, mais les velléités à mouvoir les frontières et à interroger les catégories s’évanouissent sitôt franchie la porte du cloître.