Trajal’s trajectoire… Caen Amour…
Avant le Cloître des Célestins et Caen Amour…. C’était la 5ème édition du projet SKITE et ça se tenait à Caen du 16 août au 12 septembre 2010, à l’initiative conjointe de l’association SKITE (Jean-Marc Adolphe) et l’association Danse Perspective (Michelle Latini), en partenariat avec l’Ecole supérieure d’arts et médias de Caen (ESAM), le Centre Chorégraphique National de Caen / Basse-Normandie, le CARGO, Les Ateliers intermédiaires…. et le soutien de la région Basse-Normandie, de CulturesFrance, de la Ville de Caen. Laboratoire pluridisciplinaire de formation et de recherche artistiques, le SKITE (« un chantier d’utopies » crée en 1992, au Théâtre de la Cité Internationale à Paris comme le rappelait JMA, et une implantation européenne et mondiale) réunissait une cinquantaine d’artistes émergents internationaux (danse, théâtre, arts visuels, musique…) ayant la volonté d’un projet performatif : work in progress, fragments d’expériences, dispositifs hybrides, projets participatifs… C’est là, à Caen – que Trajel Harrell regarde comme une « ville exotique » – que pour la première fois je vis le travail de Trajal Harrell.
Trajectoire de Trajal… De (M)imosa à Caen Amour…
(M)IMOSA Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (M), créé en février 2011 à The Kitchen New York, était le titre codé et référencé de la création à quatre mains des chorégraphes, danseurs et performeurs Cécilia Bengolea, Francois Chaignaud, Marlene Monteiro Freitas et Trajal Harrell. Les uns et les autres questionnaient alors les tabous chorégraphiques, les zones corporelles et les topographies du corps. Un rien provocateur, ou disons-le « nouveau », comme antérieurement Pâquerette en 2008 qui reposait sur l’utilisation dans la danse de l’anus et de sa pénétration. Trajal Harrell était déjà de la partie, en était à l’initiative et (M)imosa était la version M de la série « Twenty Looks or Paris is Burning at the Judson Church ». Un cycle de pièces de Trajal Harrell, les autres versions se déclinant de XS à XL, comme les tailles vestimentaires. Un « jeu de titre » en écho au travail sur le Voguing et au goût de l’équipe pour le vêtement, la mode, le travestissement. Né dans les années 60 dans les quartiers marginaux de Harlem, le Voguing inventé par la communauté gay et transgenres d’origine afro-latino-américaine, reposait sur l’étude et l’emprunt des attitudes du monde de la mode, du luxe et du glamour. Contre-culture ayant connue son heure de gloire dans les années 90, notamment grace à la chanson Vogue de Madonna et surtout Paris is burning, le film documentaire largement primé de Jennis Livigston. Au commement de cette série initiée par Trajal Harrel, il y avait une question s’interrogeant sur l’histoire de la danse : « Que se serait-il passé en 1963 à New York si une figure de la scène voguing de Harlem était descendue jusqu’à Greenwich Village pour danser aux côtés des pionniers de la Post Modern Dance du Judson Church Theater ? ». Autrement dit, comment se serait passée la rencontre entre un courant imitant les artifices et codes de la mode, nourri par les catégories de genre, de race et de hiérarchie sociale, et un autre à la recherche d’une authenticité du mouvement, libéré des carcans traditionnels de la représentation du corps dansant ?
(M)imosa que l’on retrouvera partiellement à l’occasion d’extraits projetés dans le cadre de la Nef des images, le 10 juillet à 11H00, église des Célestins.
Caen Amour… the Hoochie-Coochie
Chevillé à la pensée, génétiquement programmé pour explorer les territoires imprévisibles ou impensés de la Dance, Trajal Harrell est avant tout, essentiellement et indépassablement, un acteur des formes performatives. Comprenons qu’il ne s’agit pas ici de nommer un « genre en soi », mais plutôt de trouver un nom qui puisse abriter les expériences mentales qui se manifestent et s’exposent physiquement sous des formats indifférents au référencement habituel. Serait performatif tout ou partie d’une création qui, délaissant partiellement les codes et les attendus, ou les détournant, retrouve un rapport à l’expérience esthétique. Serait performatif, en soi, une zone de rupture créant un intervalle poétique, linguistique, plastique… D’une certaine manière, sans qu’il s’agisse-là d’un axiome, serait performatif, un événement d’une durée indéfinie, mettant en cause le rapport entretenu au temps et à l’espace comme bornes et repères, puisque le performatif est une forme inclusive où spatialisation et temporalité n’obéissent pas, ou plus, à la mesure (pas quantifiable, pas équilibré, pas jaugeable).
Dans l’incapacité de définir davantage les dispositifs performatifs (pas de modèles définis), il est peut-être possible d’imaginer en désespoir de cause l’effet de ce mode de création sur spectateur. Cette manière que le dispositif performatif a de favoriser un rapport à l’einfall. C’est-à-dire un rapport à la pensée furtive, à la pensée surgissante ou saisissante sans que l’on sache pourquoi elle est apparue. Ce qui, là est l’intérêt, rapproche la forme performative de l’expérience de la pensée, si penser c’est faire l’expérience de ce que l’on avait pas prévu de penser (cf. J.-L. Lyotard).
En proposant Caen Amour, Trajal Harrell raconte que c’est avec son père qu’il découvrit un type de spectacle « le Hoochie Coochie ». Quelque chose entre le « peep show » et « le strip tease » non encore organisés sous son format industriel, qui s’offrait comme l’une des attractions des foires et autres fêtes foraines. La découverte s’arrêtait pour lui à l’entrée, son père le privant de la « danse orientale » érotisée et sexualisée qui se tenait, à l’intérieur, à l’abri des regards. Première expérience d’enfant chez Trajal Harrell dont on comprend qu’elle ait pu produire chez lui le goût de « ce qui n’apparaît pas », ne « se donne pas », « se retire » ou « se dissimule » et qui, par ailleurs, l’aura inscrit dans un rapport aigü à la question du genre et de ses clivages… Questionnement qui mettrait en doute cette manière de penser un monde organisé sous la modalité inamovible du « Genre ». Dit autrement, on pourrait dire que le travail de Trajal Harrell s’inquiétera, au-delà de ce qui fonde le clivage homme-femme, de ce qui peut-être interchangeable ou commun, entre l’un et l’autre, à l’un et l’autre. Rien d’étonnant à ce que des espaces comme la mode, la danse, etc. aient dès lors constitué son territoire d’exploration. Rien d’étonnant à ce qu’un questionnement sur le « transgenre » soit, chez le créateur, à l’œuvre. En définitive, ce qui est donc en jeu dans le travail du Performer relève d’une interrogation sur l’évidence (littéralement ce qui se donne à voir). « L’évidence » qui, pour autant qu’il est le lieu de la convocation (système référentiel), est également le point de départ de connexion (dynamique d’imagination). Lui, refuse l’assignation et privilégie le « neutre ».
Une façade orientale bleue, une ouverture, quelques étagères soutenant des produits d’entretiens ménagers… le public croira être installé pour une petite heure… non ! Quelques minutes plus tard, il est dit qu’il pourra aller voir derrière et découvrir les « dessous » du devant. Tout est là, construit sur cette dialectique non de « l’envers » et de « l’endroit », du « dessous » et du « dessus », mais plutôt sur un glissement inattendu qui interroge le « devant » et le « dessous ». De l’un à l’autre, du « devant » où s’executent des danseurs lassifs qui tournent en boucle, au « dessous » où l’illusion est dévoilé, Caen Amour se regardera comme un temps ininterrompu, un passage continu, un geste répétitif et néanmoins jouant de variations. On songe au poème de Gertrud Stein The Rose, on pense à une peinture sérielle, on imagine les diagrammes de Duchamp… sans certitude. Il ne se passe ainsi presque rien, sinon l’annexion du temps que semble cultiver Caen Amour. Sinon un geste chaloupé, construit sur un flux reflux doux. Sinon la présentation/représentation d’étoffes aux couleurs chamarrées portés sur tout ce qui peut constituer une parcelle de corps. Et de regarder le public se promener dans l’espace du Cloître Célestin, pris dans une déambulation contemplative.
Caen Amour n’a rien à démontrer, mais montre. Quoi ? On ne le devine pas, on l’imagine… Caen Amour… un titre comme un trajet (une destination) que pourrait proposer la SNCF. D’un point à l’autre, comme toujours à la SNCF l’heure est extensible, prompte à agacer ou à permettre l’écriture de pages d’un voyage. Mais si c’était un peu ça, alors l’une des catégories mise en scène qui ne tient pas compte du « Genre » n’était-ce pas l’amour… toujours inconnu ce truc là, toujours dans la déclinaison…