Depuis plus de quinze jours, et jusqu\u2019au 17 juillet, la Fonderie-Th\u00e9\u00e2tre du Radeau de Fran\u00e7ois Tanguy accueille le Workcenter of Jerzy Grotowski and Thomas Richards. P\u00e9riode pendant laquelle le travail de Focused Research Team in Art as vehicle dirig\u00e9 par Thomas Richards et Open Programm de Mario Biagini est pr\u00e9sent\u00e9 parmi d\u2019autres temps consacr\u00e9s \u00e0 des rencontres, des projections et des d\u00e9bats jusqu\u2019\u00e0 la cantine o\u00f9 tout le monde prend son repas dans la simplicit\u00e9. S\u00e9quences pr\u00e9cieuses o\u00f9 il est question de th\u00e9\u00e2tre et du rapport qu\u2019il entretient avec les r\u00e9alit\u00e9s\u2026<\/strong> <\/em>
\nWROCLAV, PONTEDERA, CAEN\u2026<\/em>
\nSi l\u2019on croit savoir quelque chose de Jerzy Grotowski parce que l\u2019on aura vu \u00ab Akropolis \u00bb ou \u00ab Faust \u00bb, \u00ab Etudes sur Hamlet \u00bb ou \u00ab le Prince Constant \u00bb\u2026 Si l\u2019on pense avoir appris quelque chose parce que l\u2019on aura lu Tu es le fils de quelqu\u2019un ou De la compagnie th\u00e9\u00e2trale \u00e0 l\u2019art comme vehicule publi\u00e9 en appendice au Travailler avec Grotowski sur les actions physiques de thomas richards\u2026 si l\u2019on a pu tomber sur quelques citations \u00e9tincelantes : \u00ab la v\u00e9rit\u00e9 c\u2019est la rouille \u00bb ou la pr\u00e9face de Brook au th\u00e9\u00e2tre pauvre\u2026 Si l\u2019on a pu assister \u00e0 l\u2019une des le\u00e7ons du \u00ab ma\u00eetre \u00bb au coll\u00e8ge de france alors que Grotowski y occupe la Chaire d\u2019Anthropologie Th\u00e9\u00e2trales de 1996, \u00e0 sa mort en 1999\u2026 Si le travail du Workcenter que l\u2019on croise de temps \u00e0 autre est encore un moyen d\u2019\u00e9prouver un h\u00e9ritage, une familiarit\u00e9, une trace du travail de formation que Grotowski a entrepris des ann\u00e9es durant \u00e0 Wroclav, puis \u00e0 Pontedera\u2026 Si on a quelque id\u00e9e du travail au th\u00e9\u00e2tre laboratoire du ma\u00eetre en \u00e9coutant ceux qui l\u2019ont approch\u00e9 et qui explique la mani\u00e8re dont il a revisit\u00e9 le jeu de l\u2019acteur, le th\u00e9\u00e2tre classique, le lien qu\u2019il fit entre l\u2019art dramatique, la mise en sc\u00e8ne et le rituel en d\u00e9veloppant l\u2019id\u00e9e d\u2019un \u00ab art comme v\u00e9hicule \u00bb\u2026 Si par chance, \u00e0 la Fonderie, en ce d\u00e9but juillet, on a pu regarder 13 minutes in\u00e9dites d\u2019un film de Pierre Henry Magnin o\u00f9 Grotowski, \u00e0 la table d\u2019une cuisine v\u00e9tuste ou fonctionnelle, explique l\u2019int\u00e9r\u00eat du vol que le disciple doit commettre sur le ma\u00eetre, alors que Michelle Kokosowski en fait cadeau au Workcenter \u2026 Si l\u2019on a pu consulter les archives Jerzy Grotowski, comme celles du fonds de l\u2019Acad\u00e9mie Exp\u00e9rimentale des Th\u00e9\u00e2tres \u00e0 l\u2019Institut M\u00e9moire Edition Contemporaine \u00e0 l\u2019Abbaye d\u2019Ardenne… si, si, si\u2026 Alors on attendra avec impatience les plus de 1000 pages que Thomas Richards et Mario Biagini vont \u00e9diter. car, ce premier juillet, dans la salle Didier-Georges Gabily o\u00f9 une centaine de personnes sont pr\u00e9sentes alors qu\u2019un d\u00e9bat s\u2019ouvre, Mario Biagini annonce cet \u00e9v\u00e9nement \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019Olivier Corpet (directeur et fondateur de l\u2019Imec). \u00ab il y a donc deux fonds, et c\u2019\u00e9tait la volont\u00e9 de Grotowski d\u2019avoir un fonds \u00e0 l’IMEC. pourquoi archiver ? Pour que les documents soient disponibles, que le fonds soit ouvert et consultable. les mat\u00e9riaux film\u00e9s seront eux aussi consultables. il faut dire aussi, qu\u2019il y a des ann\u00e9es, Thomas et moi, avons le d\u00e9sir que les mat\u00e9riaux qui concernent Grotowski en Pologne, soient mis \u00e0 la disposition de ceux qui sont int\u00e9ress\u00e9s. Tout cela est compliqu\u00e9, mais petit \u00e0 petit nous arriverons \u00e0 rendre cette richesse. Et maintenant, nous voulons publier les textes de Grotowski. En quatre langues, tous les textes publi\u00e9s ainsi que des textes in\u00e9dits. Ca repr\u00e9sente environ 1200 pages. des textes qui ne sont pas connus, in\u00e9dits, comme les textes politiques des ann\u00e9es 1950. C\u2019\u00e9tait le moment o\u00f9 il pensait faire de la politique. La destin\u00e9e l\u2019aurait port\u00e9 en prison s\u2019il avait poursuivi. Il a donc chang\u00e9 de voie, et a commenc\u00e9 \u00e0 faire du th\u00e9\u00e2tre. On va ainsi publier le cycle des le\u00e7ons \u00e0 Rome, dans les ann\u00e9es 1980. Il a couvert de nombreux th\u00e8mes et notamment le Th\u00e9\u00e2tre des Sources. Et aussi le cycle des le\u00e7ons du coll\u00e8ge de france \u00bb. L\u2019information fait l\u2019effet d\u2019un petit s\u00e9isme dans la salle et cet effet va crescendo quand olivier corpet annonce, lui, l\u2019arriv\u00e9e \u00e0 l\u2019imec de \u00ab 830 supports magn\u00e9tiques \u00bb. Un fonds audiovisuel extraordinaire qu\u2019il promet de rendre consultable alors qu\u2019il invite Mario Biagini et Thomas Richards, au printemps prochain \u00e0 Caen, \u00e0 venir avec leurs spectacles \u00bb. Sous la vo\u00fbte de b\u00e9ton repeinte en blanc, sur les bancs de bois dispos\u00e9s en arc de cercle, le public compos\u00e9 de gens venus d\u2019un peu partout, et notamment d\u2019italie, fr\u00e9mira \u00e0 la pens\u00e9e de se retrouver au printemps prochain.
\nMoments rares \u00e0 venir donc, mais \u00e9galement moments d\u2019intensit\u00e9 et de densit\u00e9 quand, dans l\u2019apr\u00e8s-midi, dans les conversations que mod\u00e8re Antonio Attisani, le philosophe Carlo Sini interroge \u00e0 haute voix les mutations de ce si\u00e8cle o\u00f9 le th\u00e9\u00e2tre est appr\u00e9hend\u00e9, encore et toujours, comme le lieu qui n\u2019est pas \u00e9tranger aux batailles qui gouvernent un monde en construction et en d\u00e9construction. A cet endroit, l\u2019enjeu d\u2019un r\u00eave (pris ici dans son sens conceptuel comme mouvement d\u2019une esp\u00e9rance et m\u00e9moire de chaque singularit\u00e9) semble la derni\u00e8re chance ou lutte offerte \u00e0 l\u2019homo \u00ab capitalismus \u00bb dont on conversera longuement. Homo sapiens pourtant qui, ne regardant plus le monde qu\u2019\u00e0 travers les \u00e9crans qui lui font \u00e9cran, en est r\u00e9duit \u00e0 esp\u00e9rer, et parfois travailler, \u00e0 l\u2019entretien d\u2019une m\u00e9moire d\u00e9grad\u00e9e : base arri\u00e8re de souvenirs o\u00f9 survivent quelques v\u00e9rit\u00e9s enterr\u00e9es qui appellent leurs spectres \u00e0 venir. longuement, le \u00ab capitalisme \u00bb aura \u00e9t\u00e9 l\u2019objet d\u2019une discussion qui semblera ne pouvoir s\u2019\u00e9puiser. Et de lire le texte de Fran\u00e7ois Tanguy, qui tout au long des interventions, coupe la parole pour faire entendre un po\u00e8me de Villon, un mot et sa racine… \u00ab\u00a0afin de combattre la logique insens\u00e9e\u00a0\u00bb ou d’\u00e9chapper \u00e0 la \u00ab\u00a0gigantesque orchestration du d\u00e9sastre\u00a0\u00bb.
\nLIVING ROOM<\/em>
\nIl est un peu moins de midi et apr\u00e8s avoir march\u00e9 sur un plancher de bois qui court ici sur toute l’architecture, et travers\u00e9 une petite cuisine, le quidam vient prendre place dans une pi\u00e8ce qu\u2019on dirait appartenir \u00e0 une datcha. Le mobilier d\u2019Emma\u00fcs est ici r\u00e9parti aux diff\u00e9rents coins de la pi\u00e8ce. A l\u2019image de la Fonderie, il a une histoire que l\u2019on sait loin de la richesse mat\u00e9rielle et peut-\u00eatre infiniment riche de vies singuli\u00e8res. ici, un chandelier qui a tout \u00e0 voir avec l’art brut. L\u00e0 une table basse \u00e9paisse pos\u00e9e sur des tapis de r\u00e9cup\u00e9ration. Quelques bougies et fleurs d\u00e9ploient leurs ombres et leurs couleurs. Un ensemble de fauteuils, chaises, tabourets et caisses retourn\u00e9es sont les si\u00e8ges rares d\u2019un public d\u00e9barrass\u00e9 de la contrainte des styles et du confort. Le tout venant a trouv\u00e9 ici un usage et un emploi int\u00e9rieur. Une immense porte m\u00e9tallique rouge, peinte par Didier-Georges Gabily (raconte Laurence), vaut pour la toile abstraite d\u2019un mus\u00e9e d\u2019art contemporain. Rouge vif qui rappelle le rideau du th\u00e9\u00e2tre et abrite toutes les histoires. Il n\u2019y a pas vraiment de sc\u00e8ne \u00e0 cet endroit l\u00e0, pas vraiment d\u2019espace distinct et les com\u00e9diens du Workcenter passent parmi les spectateurs et proposent \u00ab un caf\u00e9 \u00bb, \u00ab un jus d\u2019orange \u00bb comme chez soi, au salon\u2026 Et puis soudainement, dans le passage du doux murmure des conversations \u00e0 celui d\u2019un chant vibratoire, Living Room commence. Comprenons que le chant l\u2019emporte sur la parole, que la voix souffl\u00e9e (\u00ab le pneuma \u00bb \u00e9crirait Jacques Derrida) fait entendre une force, une puissance. Chants et danses o\u00f9 la vibration des corps comme celle des timbres forgent non pas une histoire identifiable, mais un r\u00e9cit fait d\u2019intonations et de rythmes qui rendent les sons palpables. L\u2019\u00e9paisseur des sons vaut ainsi pour un champ musical ou la mise en place d\u2019un espace s\u00e9mantis\u00e9. Les six interpr\u00e8tes joueront ainsi un peu plus d\u2019une heure \u00e0 restituer, au-del\u00e0 des mots, quelque chose qui passe par le chant. \u00ab De la parole aux chants \u00bb pourrait-on dire en m\u00e9moire d\u2019une des actions de l\u2019Acad\u00e9mie Exp\u00e9rimentale des Th\u00e9\u00e2tres. Et sans que l\u2019on sache ce qui est dit, mais parce que ces voix nous sont audibles, alors il y a dans cette conqu\u00eate de l\u2019espace sonore, une adresse. Disons une interpellation ou peut-\u00eatre quelque chose qui serait de l\u2019ordre d\u2019une assignation. Premier temps du th\u00e9\u00e2tre ou d\u2019un rituel qui se donnait par le chant et le musical, loin de toute traduction parce que le chant est port\u00e9 par quelques puissances souterraines que les mains des danseurs\/chanteurs semblent inviter \u00e0 descendre, \u00e0 para\u00eetre… Et d’ajouter que le chant de cette communaut\u00e9, par son \u00e9lan et sa profondeur, par son expression d\u2019une mesure int\u00e9rieure, dit quelque chose \u00e0 l\u2019oreille et \u00e0 l\u2019\u0153il de celui qui regarde. Chant, et danse aussi, et donc pens\u00e9e si, comme Nietzsche, \u00ab danser, c\u2019est philosopher \u00bb. C\u2019est-\u00e0-dire penser. Images sonores et images du corps \u00e0 penser se meuvent ainsi dans \u00e0 peine quelques petits m\u00e8tres carr\u00e9s. Une poche de r\u00e9sistance ou d’insistance. Et de voir une femme oiseau en robe grise, le cheveu tir\u00e9 et d\u00e9cor\u00e9 d’un lacet aux multiples couleurs, ou de regarder la danse d’un p\u00e8lerin ou d’un voyageur sac au dos, et de suivre cet ensemble de stations jusqu’aux retrouvailles dans un foyer autour d’un g\u00e2teau en chocolat. D’un bout \u00e0 l’autre, il se sera agi d’une aventure naissante\u2026 Comment dire ou expliquer ce qui rel\u00e8ve d\u2019un conte, d\u2019une \u00e9pop\u00e9e o\u00f9 quelques chants traditionnels se donnent \u00e0 entendre en gommant toute barri\u00e8re. Comment dire qu\u2019il y a l\u00e0 un conte qui parle d\u2019un d\u00e9part, d\u2019un p\u00e9riple, d\u2019un retour, d’un passage du vivant parmi le monde des morts\u2026 Et d\u2019y voir le r\u00e9cit d\u2019une mutation ou d\u2019une transformation, celui d\u2019une initiation qui est non seulement sugg\u00e9r\u00e9e, mais qui nous est, \u00e0 nous-m\u00eame rappel\u00e9e. Moment o\u00f9 le th\u00e9\u00e2tre ou la performance (qu\u2019importe le nom qui lui sera donn\u00e9) ne m\u2019est plus \u00e9tranger mais me rappelle que je suis moi-m\u00eame l\u2019objet de cette initiation. Ecoutant, regardant, recevant\u2026 Living Room est une pi\u00e8ce qui fait passer d’un \u00e2ge \u00e0 un autre, du petit au grand, du jeune \u00e0 l’adulte, d’un salon \u00e0 un monde, d’une solitude \u00e0 une communaut\u00e9. C’est juste, et c’est suffisamment rare, une \u00e9preuve o\u00f9 les formes de la peur et de la joie, du questionnement et des r\u00e9ponses… se nomment par le souffle et la vibration.Quelqu’un aura peut-\u00eatre reconnu quelques chants africains (Yoruba) ou de Ha\u00efti… des chants qui sont \u00ab\u00a0des instruments de voyages\u00a0\u00bb comme le rappelle et l’\u00e9crit Antonio Attisani, dans Les Sens d’un th\u00e9\u00e2tre, petit livret rouge confectionn\u00e9 par la Fonderie.
\nI AM AMERICA<\/em>
\n97, C\u2019est l\u2019ann\u00e9e o\u00f9 Allen Ginsberg meurt d\u2019un crise cardiaque, une nuit d\u2019avril, entre un vendredi et un samedi. Il a un peu plus de 70 ans et fait ainsi un pied de nez \u00e0 son cancer du foie. Entre Kerouac, Burroughs et Ginsberg, on parlait du troisi\u00e8me comme de \u00ab\u00a0l\u2019ap\u00f4tre de la Beat Generation\u00a0\u00bb. Tous les trois, fascin\u00e9s par William Carlos Williams et Ezra Pound, cherchaient la m\u00eame chose, le m\u00eame graal : \u00ab composer une po\u00e9sie nouvelle sur le langage parl\u00e9, celui de la rue \u00bb disait Ginsberg. Po\u00e8tes et langues qui influenceront le rock et notamment, Leonard Cohen, Jim Morrison, Tom Waits, Patti Smith et\u2026 Bob Dylan. Beat signifiant, dans le langage Junkie, \u00ab \u00eatre au bout du rouleau \u00bb. Ginsberg l\u2019est depuis longtemps et \u00e7a ne l\u2019emp\u00eache pas de voyager (jusqu\u2019\u00e0 Marseille) et de lire, lire sans arr\u00eat et \u00e9crire, et dire la po\u00e9sie, jusqu\u2019\u00e0 la chanter avec Dylan dans les seventies ou Patti Smith lors du concert Combat Rock. America s\u2019\u00e9crit ainsi tout au long d\u2019une vie qui se d\u00e9compose par tous les bouts. Et commence peut-\u00eatre, \u00e0 la Six Gallery, \u00e0 San Francisco, alors qu\u2019Allen G. lit Howl : \u00ab son cri primal de libert\u00e9 \u00bb o\u00f9 il d\u00e9nonce l\u2019Am\u00e9rique qui, comme Moloch, d\u00e9vore ses propres enfants, aboie sur le monde, et se perd dans l\u2019industrialisation et la consommation, au m\u00e9pris de \u00ab la po\u00e9sie, de la queue et de l\u2019anus \u00bb. Scandale et notori\u00e9t\u00e9 arrivent en m\u00eame temps, alors que Ginsberg s\u2019en prend sans cesse \u00e0 la parano\u00efa am\u00e9ricaine, au puritanisme, \u00e0 Reagan, au FBI, au Vietnam, au racisme, \u00e0 la police, \u00e0 CIA\u2026ou l\u2019envers du r\u00eave qu\u2019est le cauchemar US pour ceux et celles qui n\u2019adh\u00e8rent \u00e0 l\u2019Eldorado que constitue l\u2019amassement de billets verts. A cette Am\u00e9rique dont Hoover dit, \u00e0 la convention r\u00e9publicaine de 1960 : \u00ab communistes beatniks et t\u00eate d\u2019\u0153ufs sont les trois menaces de l\u2019Am\u00e9rique \u00bb[1]. La po\u00e9sie, elle sera \u00ab une \u00e9meute \u00bb perp\u00e9tuelle.
\nDans le cercle que forment des gradins miniatures o\u00f9 ceux du matin se retrouvent pour I AM AMERICA, dans la p\u00e9nombre des petits projecteurs qui encadrent ce dispositif, \u00e0 m\u00eame ce territoire en construction, les interpr\u00e8tes de l’Open Programm semblent costum\u00e9s en figures historiques. Disons qu’ils ont emprunt\u00e9 quelques accessoires qui pourraient renvoyer aux st\u00e9r\u00e9otypes d’un peuple am\u00e9ricain qui est avant toute chose une mosa\u00efque. Il y a l\u00e0 une casquette viss\u00e9e sur la t\u00eate d’un homme \u00e0 la chemise ouverte qui fait penser \u00e0 ces migrants qui ont gagn\u00e9 l’Am\u00e9rique. Il y a l\u00e0 la femme aux dentelles noires pos\u00e9es sur les cheveux. Elles pourraient \u00eatre une sicilienne qui n’a pas rompu avec son histoire. Il y a les hommes aux lunettes noires des ann\u00e9es soixante et leurs chapeaux et costumes \u00ab\u00a0Man in Black\u00a0\u00bb. Il y a le jeune type \u00e0 la guitare qui pourrait \u00eatre le fr\u00e8re de quelques pop star. Et la jeune femme en robe \u00e0 pois qui ressemble \u00e0 une femme au foyer, etc. Tous sont am\u00e9ricains et semblent d\u00e9barqu\u00e9s d’ailleurs. Tous forment l’Am\u00e9rique. Et puis, parmi eux, il y a la banni\u00e8re \u00e9toil\u00e9e que porte Mario Biagini, accoutr\u00e9 comme une veille femme, sorte de \u00ab\u00a0grand mother\u00a0\u00bb ou de \u00ab\u00a0censure\u00a0\u00bb, porte comme une seconde peau. Ils forment \u00e0 eux tous une sorte de bande qui fera entendre une bande son o\u00f9 l’influence musicale de ces peuples ramass\u00e9s en un \u00e9tat pluriel ressort tout au long d’I AM AMERICA. Peuples et communaut\u00e9s pris dans leurs chants, dans leurs rythmes, dans les soubresauts des swing et des song. Et de regarder le mouvement de cette pi\u00e8ce chant\u00e9e et chor\u00e9graphique, de cette performance incantatoire et dans\u00e9e, comme un ensemble de stations et d’actions qui nous laissent p\u00e9n\u00e9trer le myst\u00e8re d’un amalgame am\u00e9ricain. Pi\u00e8ce humoristique et critique o\u00f9 Ginsberg passe au vitriole une l\u00e9gende, voire un mythe am\u00e9ricain qui s’accorde mal avec la diversit\u00e9 des \u00eatres singuliers. Monde de peurs, de crises, de violences et d’espoirs… Le long po\u00e8me I AM AMERICA transpire les nervosit\u00e9s des states, les n\u00e9vroses du r\u00eave am\u00e9ricain, sa pr\u00e9tendue action messianique, ses paralysies devant le nouveau qui gagne le nouveau monde. Sur l’aire de jeu, sur les airs qui sont donn\u00e9s, \u00ab\u00a0Je suis l’Am\u00e9rique\u00a0\u00bb dit la libert\u00e9 d’\u00eatres qui s’accordent mal avec la loi.
\nBien loin d’une com\u00e9die musicale, bien loin des harmonieuses repr\u00e9sentations hollywoodiennes, \u00e9tranger aux claquettes et au parapluie de Poppins… I AM AMERICA \u00e9prouve le verbe ginsbergien. Il en fait un art de rue, un art du chant cisel\u00e9 par les lointains accents d’un autre monde, un art du mouvement sculpt\u00e9 par la geste des pays d’o\u00f9 l’on vient. En cela, cette performance avoue ses sources et se donne sous la forme d’un m\u00e9tissage o\u00f9 le sang-m\u00eal\u00e9 est le flux qui irrigue l’\u00e9nergie d’America
\n[1] Allan Ginsberg, Journal 1952-1962, Christian Bourgois, 1984, p. 192.
\nPhotos copyright yannick Butel (sauf la vue \u00ab\u00a0voute du radeau\u00a0\u00bb)<\/p>\n